vendredi 27 août 2010

Anticosti: la période faste

Suite du billet précédent

On ne peut parler de l'Ile d'Anticosti sans parler d'Henri Menier et bien comprendre le personnage. Il était le fils du non moins célèbre et engagé Émile-Justin Menier.

En 1895, le meilleur moyen d'être riche, ce n'était pas de cultiver du pot, de la mari, du pavot, du crack, des peanuts. La grande était au chocolat. C'était hyper sexé et full payant!

La graine de cacao avait été découverte par les mayas en l'An 600 de notre ère. Et dès le départ, on lui prêta des vertues spéciales, spirituelle, voire même aphrodisiaques. Les nobles d'Europe éprouvèrent à son égard un véritable engouement.

J'en fis même le thème d'un travail de recherches dans mes années de Collège à St-Hyacinthe. C'est donc dire que le hasard a voulu que je m'intéresse à la question depuis longtemps.

Il faut attendre au XIXè siècle pour que le chocolat puisse devenir accessible à tous. Et ce fut grâce à Menier. C'est lui qui développa la technique pour fabriquer du chocolat en tablette. Auparant, le chocolat ne se prenait que comme breuvage. Menier s'associa ensuite à un certain monsieur Nestlé, l'inventeur du lait en poudre. Rien à voir avec la popularité de la poudre que l'on vend présentement dans les bars. Mais aussi payant pour l'époque.

Vous l'aurez deviné, c'est ainsi que prit naissance la chocolaterie Nestlé. Il ne faut donc pas se surprendre de savoir que Menier, le milliardaire, ait voulu se faire construire un château en arrivant sur l'Ile d'Anticosti.


Il possédait déjà de nombreux château en Europe dont celui de Chenonceau dans la vallée de la Loire. De nos jours, on se serait demandé s'il avait des liens avec le milieu de la construction.


Il possédait un autre château qui portait, par hasard, le nom de la chute de l'Ile d'anticosti: Vauréal. D'accord, le château de l'Ile d'Anticosti était plus modeste. Pour Menier, ce n'était qu'un pavillon de chasse. La construction du château, commencée en 1903 a tout de même coûté 100 000$, soit presque le même prix que toute l'ile en entier. Et l'inauguration du château se fit en grandes pompes. Lord Grey, le Gouverneur général du Canada faisait même parti des invités.

Le château comptait 30 pièces richement meublées. Des tourelles du château, Menier pouvait admirer son ile et les chevreuils grâce à un télescope naval. Il impressionnait beaucoup dans le paysage où se trouvait aussi l'auto d'Henri Menier en 1905. Ce dernier n'y séjourna que 6 fois. Menier aimait bien recevoir et bien loger ses nobles amis qui l'accompagnaient à ses excursions de chasse et de pêche.

Une si belle histoire, un si beau patrimoine allait cependant connaître une bien triste fin. Sur un paneau, devant l'ancien site du château, on peut lire: En 1953, les dirigeants de la Consolidated Bathurst font incendier l'édifice devenu dangeureux.

J'ai été étonné de voir comment on avait l'art de toujours maquiller la réalité pour être politiquement correct. J'ai eu le plaisir d'entendre la vraie histoire de la bouche d'un historien très au fait de l'histoire de l'Ile et de la Côte Nord. Sa version correspond aussi aux témoignages que j'ai entendus plus tard sur l'Ile.

Après la mort d'Henri Menier, le 6 septembre 1913 à Vauréal (Val-d'Oise), ses descendants n'ont pas voulu garder l'Ile qui avait englouti une trop grande partie de la fortune d'Henri Menier. C'est la forestière Consolidated Barhurst qui en a fait l'acquisition en 1928. Pour le nouveau maître des lieux, l'édifice n'avait pas d'intérêt. On s'en servait comme entrepôt. Et des jeunes de l'Ile aimaient bien y faire la fête. On avait même découvert une cave à vin où Menier avait rangé une collection précieuse de grands crus. Whow! Ils ont dû se payer la traite. On craignait les accidents et les poursuites qui pouvaient s'en suivre.

Le représentant de la Consolidated Bathurst déclara qu'il n'avait pas été engagé pour faire l'entretien des bâtisses historiques, mais pour faire couper du bois. Il en fit couper et mit le feu au château. Une façon de couper les coûts comme on en voit encore aujourd'hui. Les critères des coupures sont encore aussi discutables.

Des mauvaises langues ont aussi prétendu que le château rappelait trop une époque où les gens étaient mieux traités que sous le rêgne de la papetière. Henri Menier faisait, par exemple, vacciner gratuitement tous les habitants de l'Ile dont le nombre dépassait celui d'aujourd'hui. On en parlait avec nostalgie en disant: "Dans le temps de Menier... " Ces réactions agaçaient au plus au point les maîtres de la Consolidated Bathurst. C'est ce qui aurait précépité la fin du château.

Avant
Après


Inutile de vous dire que j'ai été probablement ébranlé pour les ruines que j'ai pu observer. Ébranlé est un terme très faible. Des jurons typiquement québécois seraient beaucoup plus appropriés à la sitautation. Le pire, c'est qu'il n'y a pas eu que le château qui a été rasé, détruit.

Je vous parlerai de d'autres désastres, d'autres destructions et d'autres dangers que l'on fait courir à l'ile. On nous a dit ici qu'on n'avait jamais vu autant de machinerie lourde débarquer sur l'ile en même temps.


La nature, le patrimoine, la poésie, la mise en valeur du territoire, ce n'est pas le point fort de nos représentants politiques actuels. Et les dégats seront bien souvent irréversibles. Déjà, on dit dans certains milieux que l'Ile d'Anticosti n'a pas beaucoup de potentiel touristique. Et oui, elle a tu potentiel!



Nous avons pu bénéficier cette année d'une formule intéressante, accessible à la majorité des citoyens. Le voyage en avion de l'aéroport de Havre-Saint-Pierre à celui de l'Ile d'Anticosti permettait une formule à 499$ par personne comprenant: le coût du billet d'avion aller-retour, une chambre d'hôtel plus que très convenable, 3 repas gastronomiques par jour, des visites guidées sur l'ile dans des mini van confortables. Dans notre cas, nous avions une suite et des meubles provenant de l'ancien château Menier. Imaginez notre chance!

Nous avons été parmi les derniers à bénéficier de ce forfait. L'an prochain, il faudra payer plus cher pour possiblement moins de services. Je conviens que la formule actuelle commandait certains ajustements. Mais on a souvent trop tendance au Québec à jeter le bébé avec l'eau du bain (Das Kind mit dem Bad ausschütten).



Mes prochains billets feront état des dommages causés par l'homme et de ceux qu'on s'apprête à faire de façon irréversible, autant pour l'Ile d'Anticosti que sur la Côte-Nord et les régions les plus rustiques du Québec.

Sans vouloir être alarmiste, je veux tout de même contribuer à une sensibilisation sur les enjeux importants de la région. Je le fais pour une raison bien simple: j'aime la Nature et la Côte-Nord. Et je crois que l'expression populaire peut être efficace quand elle s'exprime clairement.



Un article intéressant de l'actualité: On dort au gaz.

gasland

Vidéo sur Youtube montrant le débarquement en juin 2010 de matériel de forage
http://www.youtube.com/watch?v=-PhvQIZJ5S4
À suivre...

10 commentaires:

Esperanza a dit…

Mais qui donc est l'historien qui t'as conté la "vraie" histoire de l'incendie de la maison Menier?

C'est vraiment intéressant Jacks!

Jackss a dit…

Bonjour Esperanza

J'aimerais bien te citer mes sources, mais on ne sait jamais, il y a peut-être des oreilles indiscrètes sur la ligne.

Mais je te laisse une autre nouvelle. Ce soir, Laure a travaillé pour remplacer une collègue qui voulait aller voir Gilles Vigneault en spectacle à Natashquan.

Laure s'est sacrifiée. Mais j'aurais bien y aller. Notre copine Gaële faisait partie du spectacle.

Elle a fait partie d'un groupe de filles qui ont eu l'honneur de faire l'expérience d'une session d'écriture avec Gilles Vigneault de Montréal à Natasquan. Toute une chance!

On pourra d'ailleurs voir Gaële et Laure dans le prochain numéro de la revue Clin d'Oeil. C'est le numéro d'octobre qui devrait être en kiosque à la mi-septembre.

Je suis bien heureux de savoir que mon billet t'intéresse. Puisque tu penses aller dans l'Ile d'Anticosti, je me ferai un devoir de te donner les meilleures informations que je possède.

Je me sens comblé. De ma maison,lorsque le temps est favorable, je vois se profiler au loin la bordure de l'Ile.

Anonyme a dit…

Bonjour Jackss .
Très intéressant toutes ces informations que tu nous donnes sur cette belle région ...qui est ... et sera saccagée comme beaucoup d`autres régions ...... Moi qui es vécue à Sept Iles dans les années 70 ... je te lis avec beaucoup d`intérêt car je garde de mon séjour sur la côte nord des souvenirs et des images de beautés à couper le souffle ... et je suppose que si je retournais voir ce beau coin de pays ... je serai très déçu des changement faits au nom de la modernisation et du progrès ...
Continue de nous informer ... tu le fait bien et j`attend toujours avec impatience la suite de tes écrits .
Merci à toi de partager avec nous tes découvertes de ce beau coin du Québec.
Bonne journée à toi .
Capucine .

Sébastien Haton a dit…

Tes reportages sont magnifiques, tes photographies également (j'ai un faible pour celle où on te voit apparaître... avec ta fille, je présume ? Tu y parais tellement sage, tellement grave, avec toute la dureté du monde sur le visage... et en même temps la douceur de l'ange, bref...)
Je frémis déjà en anticipant la suite de ton récit...
Bien à toi
Sébastien de France

Jackss a dit…

Tes commentaires sont bien charmants, Capucine

Je te comprends de penser à la Côte-Nord avec nostalgie. Je le suis déjà à la seule pensée de la quitter dans un avenir plus ou moins rapproché. Aucune date n'est encore fixée, mais ma demeure et mes enfants attendent l'heure de notre retour probable en 2011. Toute bonne chose a une fin.

Ton intérêt me motive à donner le meilleur de ce qui s'offre à ma vue et mes pensées.

@Shaton,

tu es bien perspicace. Il s'agit bien de ma fille sur la photo au pied de la chute Vauréal. J'aimerais bien te dire que c'est une copine de mon âge. Mais, il y a des circonstances où le dicton suivant ne s'applique pas: A beau mentir qui vient de loin. Il y a des signes qui me trahissent. Et il parait que ma fille me ressemble.

Tu as fait de moi une description bien plaisante. Merci. Tu me décris avec l'art d'un grand romancier qui a bien campé son personnage avant de le mettre en scène. Il ne me reste qu'à tenter d'en être digne.

Je suis heureux de voir que tu es toujours là. J'ai hâte de livrer la suite et la finale.

Sébastien Haton a dit…

Mais tu en es déjà digne, cher Jackss. C'est beaucoup d'honneur que tu me fais là.
Et je suis toujours là, en effet :))

Zoreilles a dit…

Quel beau voyage nous faisons en ton agréable compagnie. En plus, tu nous présentes des photos d'époque, des comparatifs, des cartes géographiques pour qu'on se repère exactement, tu sais nous faire plaisir et nous tenir en haleine.

Ce qui me fait rire, c'est quand tu saupoudres d'anecdotes bien contemporaines et juste assez cyniques des événements sérieux et bien réels qui ont eu lieu dans l'histoire bien documentée que tu nous racontes.

Quand des dirigeants politiques et des décideurs nous font croire que l'île d'Anticosti offre peu de potentiel touristique, on a le goût de leur répondre que lorsqu'on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage... Au-delà du temps et de l'espace, « Ousqu'y a de l'homme, y a de l'hommerie ».

Allez, Jacks, raconte encore...

Jackss a dit…

Bienvenue dans le circuit touristique, Zoreilles

Tes commentaires sont toujours aussi pertinents et percutants. Heureusement qu'il y a des citoyens vigilants comme toi.

L'hommerie, il y en a eu partout, de tous les pays et toutes les époques. Et j'ose croire, malgré tout qu'il y a encore des voix bien placées pour se faire entendre. Je pense, entre autre, à l'Université Laval qui est bien présente sur l'ile au niveau de la recherche.

Lise a dit…

Jacks,

j'avais du retard à rattraper dans mes lectures chez-toi. Ce matin j'ai fait un tour, assez long, histoire de lire les liens, passionnants (misère que je suis ignorante!), et je termine ce soir. Ce que j'apprends ici je ne l'oublierai pas.

Jacks, tu es un historien , un fouilleur d'archives (que tu partages avec nous), un photographe, et un chercheur infatigable. Avec toi, plus j'apprends, plus j'ai envie d'en savoir davantage.

Et je suis loin d'avoir fait le tour de tous tes liens...

Et moi qui n'achète jamais de revues, hors budget pour moi, c'est sûr que je me paierai le "Clin d'Oeil" d'octobre. Une fois n'est pas coutume!

Jackss a dit…

Bonjour Lise

Quel plaisir que de lire tes charmants commentaires. Ça donne le goût de continuer. Le récit de la suite est déjà très avancée. Plus je me documente, plus je suis passionné par ce que j'apprends. C'est donc un cadeau que je me fais que de partager le tout.

Il y a encore beaucoup de choses fort surprenantes à apprendre sur l'histoire de l'ile d'Anticosti. C'est dommage de constater que tant de trésors près de nos sont si méconnus, voire ignorés. Nous avons encore beaucoup à apprendre sur la façon de mettre notre patrimoine en valeur.

La revue Clin d'oeil va paraître le 3 septembre. Laure a été invitée pour le lancement à Montréal en présence des médias. Malheureusement, c'est un peu loin. Mais j'imagine que Gaële y sera.