dimanche 28 juin 2015

Le téléphone

En relisant mon dernier billet, j'ai failli tomber en bas de ma chaise. J'ai constaté subitement que ça faisait 30 ans déjà que mon père était décédé. 30 ans. Dans 30 ans, j'en aurai 100. J'ai toujours été fasciné par le temps qui fuit.

Quand j'ai eu 15 ans, je me rappelle que j'ai eu un choc. Je me suis dit: 4 fois 15, ça fait 60. J'ai réalisé qu'il me fallait seulement 4 fois mon âge pour avoir 60 ans. Mon père est décédé à 61 ans. Pour moi, il était vieux. Imaginez, j'ai déjà 10 ans de plus. Et il me semble que je ne suis pas vieux. En même temps, je réalise que le compte à rebours est commencé et qu'il me reste très peu de temps pour faire tout ce que je veux faire.

Imaginez que, par un drôle de hasard, le téléphone cellulaire a aussi 30 ans. Il date de 1985. À cette époque, son coût d'utilisation annuel était de 10 000$. Cliquez sur le Cellulaire a 30 ans pour plus de détails.

Je n'ai jamais tellement aimé ce petit bidule qu'on appelle téléphone. Je ne suis pas du genre à posséder un téléphone cellulaire. Je n'aime pas être rejoint n'importe quand, n'importe où, par n'importe qui. Je suis scandalisé quand je vois quelqu'un au restaurant parler au cellulaire au lieu d'être totalement disponible à sa copine, ses enfants, ses amis.

Je n'ai donc jamais offert de téléphone en cadeau, sauf une fois. Et ce n'était pas un cellulaire. Je n'aurais jamais eu les moyens. C'était tout de même un téléphone sans fil, la grande nouveauté de l'heure. Et vous verrez que ça ne m'a pas porté chance.

Printemps 1985

 Mon père me téléphone de Thurso, près de Montebello. C'est là qu'il habitait. Il pleurait. Il m'a dit qu'il venaitt d'apprendre qu'il avait un cancer incurable. Il venait de sortir de l'hôpital Notre-Dame à Montréal. Sur le coup, je ne l'ai pas cru. Je croyais qu'il s'ennuyait et qu'il avait le goût de nous voir, Laure, les enfants et moi. Les obligations familiales et professionnelles rendaient le défi très difficile, compte tenu de la distance.

Il a fallu deux mois avant que j'apprenne,<i> par téléphone </i>, que c'était vraiment sérieux. J'ai su que mon père avait vraiment été hospitalisé et qu'il était atteint d'un cancer incurable. Sans perdre un instant, je l'ai appelé. Je l'ai assuré que je serais là le lendemain. J'ai pris congé.



La dame qui en prenait soin m'a guidé jusqu'à sa chambre de la maison de Thurso qu'il habitait. Mon père qui d'habitude avait toujours un beau teint, était pâle et visiblement affaibli. À ma vue, son visage s'est épanoui. Il s'est assis dans son lit. Il s'est allumé une cigarette, en s'excusant de le faire. C'est un cancer du poumon qui l'avais terrassé.
En peu de temps, il est entré dans le vif du sujet: sa situation, son moral. .

Il a jasé pendant des heures. Il a fait le tour de toute sa vie, ses peines, ses rendez-vous manqués, ses regrêts. Il m'a parlé de ses parents, ses frères, ses soeurs, en les nommant. Il a parlé de ma mère, ses enfants, ses relations avec nous. J'étais devenu comme son confesseur.

Mon père et ma mère 1967
Mon père m'a parlé de sa décision de ne pas se faire traiter.  Il voulait qu'on garde un bon souvenir de lui, ne pas laisser le souvenir de quelqu'un qui a perdu ses esprits après de longs traitements et assommé de médicaments. Et il ne voulait pas étirer son agonie dans la souffrance. C'est fou à dire, mais je le regardais avec admiration. Je le trouvais  beau et digne.

La lumière du jour pâlissait. Nous avions parlé pendant des heures. J'ai dit à mon père qu'il devait se reposer un peu. Je suis descendu dans le salon. À ma grande surprise, il m'a suivi dans l'escalier. Il a allumé la télévision, changé de poste. Il m'a raconté des histoires et ri de bon coeur. De toute évidence, il venait de croiser le bonheur. C'est ainsi que je l'ai laissé.

Environ 3 jours plus tard, c'était le 22 mai 1985: la fête de Laure. Je lui avais acheté un téléphone sans fil environ un mois auparavant. Il était prêt à l'emploi dans une boîte de cadeau. Aussitôt après avoir mis la pile en place, le téléphone sonna.

Le téléphone était pour moi. C'était un appel de l'Hôpital de Lachute. On m'annonçait que mon père venait de décéder. Le hasard nous a secoué. Ce téléphone n'a jamais plus sonné pour nous. Nous l'avons jeté.

La vie est pleine de mystères. On ne croit la plupart du temps que ce que l'on voit et comprend.  Et pourtant, il est évident qu'il y a plein de phénomènes qui nous dépassent, des phénomènes qu'on ne peut expliquer. Il y en a dont on ne veut pas parler pour ne pas passer pour fou.

Le livre La source noire en raconte beaucoup. Il parle, entre autre, de ces gens qui semblent attendre pour mourir d'avoir réglé quelque chose ou vu quelqu'un avec qui il reste des choses à régler. On aurait dit que c'était le cas pour mon père. Il a perdu connaissance peu de temps après mon départ. Il n'a jamais pris conscience par la suite.

Autre phénomène totalement inexplicable: une bible ouverte. En venant visiter ma mère, nous avons trouvé sa bible ouverte dans la salle à dîner. Elle était ouverte à la page où se trouvait le texte lu pendant l'évangile lors des funérailles de mon père. Pourtant ma mère n'y était pas. Ma soeur Micheline, présente aux funérailles, a pu vérifier le mystérieux phénomène. C'est peut-être un hasard, mais vous admettrez comme moi que c'est pour le moins intriguant.

Sur un ton plus léger, je me porte bien pour le moment. Je me compte même très chanceux. Je viens de terminer mon jardin. J'ai travaillé fort. Je dois tout de même admettre que je sens le poids des années se faire sentir. En fait, j'ai un sérieux mal de reins. Faudrait peut-être que je consulte un médecin.



Carricature La Presse 28 juin 2015

- Les pilules bleues, c'est pour vos reins, les rouges, c'est pour votre coeur
- Je n'ai pas de problème au coeur!
- Quand vous verrez le prix des pilules bleues, vous en aurez un!

dimanche 21 juin 2015

Mon père

Aujourd'hui, c'est la fête des pères et je ressens beaucoup d'émotions.
Être père, ce n'est pas rien.

Dans plusieurs familles, on se réunit aujourd'hui pour témoigner son amour et son admiration pour son père. On prend un bon repas et on met le focus sur l'image du père, son importance, l'amour, la fierté et l'attachement qu'il inspire. Mais ce n'est  pas toujours ainsi, hélas. Parfois, c'est l'occasion de réaliser que son père a quitté la maison ou qu'il a quitté ce monde.

Mon père et moi - 1967
Je n'ai pas connu beaucoup mon père. Je n'étais pas toujours à l'aise avec lui. Mais je l'aimais profondément et je le sentais attaché. Mon père est un homme qui a beaucoup souffert. J'ai eu une relation tout à fait privilégiée avec lui, en particulier la dernière fois que je l'ai vu. J'avais passé toute une journée avec lui deux ou trois jours avant sa mort. J'étais loin de me douter que sa fin était aussi proche. Il m'a dit des phrases qu'on ne peut oublier. Il a trouvé le moyen de rire à plusieurs reprises. Il m'a parlé beaucoup de ma mère, la personne qu'il avait aimé le plus au monde, selon ses dires. Il souhaitait probablement que je lui fasse le message.

Il m'a dit, entre autre, qu'il envisageait sereinement la mort. Il avait ajouté: Je suis sûir que Dieu existe. Ça ne se peut pas avoir souffert autant pour rien dans cette vie. Il me semble que ça doit servir à quelque chose! J'ai manqué ma vie, mais je ne veux  pas manquer ma mort.


Nicole (à droite)
Son dernier Noël - 1956
Quand mon père etait revenu à la maison en 1965, après 9 ans d'absence totale, ma soeur Nicole était décédée depuis déjà 8 ans.
Je ne sais pas s'il connaissait la nouvelle avant de revenir. Depuis qu'on avait perdu sa trace, on ne savait même pas s'il était toujours vivant. Je le cherchais. J'avais déjà écrit à certains de ses amis d'enfance que je ne connaissais pas pour leur demander s'ils avaient de ses nouvelles et pouvaient m'en donner.

Je me souviens bien de la dernière fois que j'avais vu mon père. Nous étions pensionnaires à l'Hôtel-Dieu de Saint-Hyacinthe. La vraie maison où nous avons grandi, c'est là.

Dans la section de droite au sous-sol, c'est là que j'étais pensionnaire avec Yves. Juste au dessus, c'était l'étage des filles. C'est la que Nicole et Micheline étaient pensionnaires. L'entrée, vis à vis le clocher, c'était celle du parloir. C'est là qu'on pouvait avoir de la visite le dimanche lorsqu'il n'y avait pas de sortie.

Hôtel-Dieu Saint-Hyacinthe
C'est donc par là que s'était présenté mon père, seul, étant séparé de ma mère. Je me souviens très bien que papa avait tenu Nicole dans ses bras pendant tout le temps de la visite. Il pleurait comme un enfant. Nicole était remarquable. Elle ne passait jamais inaperçue. Et mon père l'aimait tellement!
Le plus tragique, c'est que ce fut la dernière fois que mon père a pu voir Nicole.

J'étais ému et je le voyais sous un côté humain qui me laissait croire ou du moins espérer qu'il revienne un jour avec ma mère. Malgré ses divergences conjugales, ma mère n'a jamais parlé en mal de notre père. Mais lorsqu'elle parlait de lui, elle y faisait toujours allusion ainsi: Celui que vous connaissez...



Selon mes souvenirs, c'est la dernière fois que je l'ai vu avant qu'il ne réapparaisse de façon aussi soudaine que mystérieuse. Il disait avoir habité le Grand Nord, la terre de Baffin. Il disait avoir été cuisinier dans l'armée, avoir connu des saisons avec 6 mois de soleil et 6 mois de nuit. C'est ce qu'il disait.

Nous ne savions pas si c'était vrai.
Mon père disait-il la vérité lorsqu'il parlait de ses aventures dans le Grand Nord? Mais oui, c'était vrai. Nous en avons eu la preuve. J'ai retrouvé des photos de lui dans le grand nord après son décès.

Peu importe la situation, je pense que notre père a toujours une image importante pour nous. C'est dans la nature de l'être humain d'y être attaché et d'y trouver des sources d'inspirations, peu importe l'expérience que nous avons eue avec lui. Quand mon père est décédé, j'ai eu une peine qui je n'aurais jamais pu imaginer. C'est dommage que ce soit toujours à cet instant que l'on réalise l'importance de celui qui vient de partir.

Mais si on ne peut réécrire l'histoire, on peut penser que l'inverse de cette réalité est à notre portée.
Je ne peux rien faire pour ma relation avec mon père puisqu'il est parti. Mais j'ai à coeur de donner le meilleur de moi-même pour que mon souvernir soit inspirant et réconfortant lorsque je serai parti à mon tour. La vie est une roue qui tourne et se prolonge d'elle même de façon mystérieuse.

Bonne fête des pères à tous!