vendredi 5 décembre 2008

Figer ou foncer

Il est assez révélateur de constater que le mot épreuve en français est synonyme de test. La différence entre paralyser ou se surpasser est parfois très mince. Ça peut être un petit rien du tout. Parfois même ce sont des faiblesses qui nous causent de profonds malaises difficilement supportables.

Voici un exemple. Quand j'ai entrepris mes années de collège, j'étais terrorisé à l'idée de parler devant la classe. La première fois qu'on a demandé un volontaire, j'étais tellement paniqué que je me suis empressé de lever la main en ne me donnant aucun temps de réflexion.

Je ne ratais jamais une occasion de me prêter volontaire dans l'espoir de venir à bout de cette fichue peur. J'ai fini par y prendre goût. J'organisais des partys, je faisais du théàtre, je composais même les textes pour me mettre en scène.
Je me costumais presqu'à chaque fois que j'allais dans un party. Les photos suivantes ont été prises dans un party en 1981 à la CSST (Commission Santé Sécurité du travail) où je venais tout juste d'être employé.



Cinq ans plus tard, j'avais coupé ma barbe. Personne ne me reconnaissait. Pour le party de Noêl, je m'étais déguisé en agent de sécurité. On aurait dit que ce costume portait malheur. Il m'avait été prêté par Bertrand Fabi. Ce dernier était courreur automobile. Il se préparait à partir pour une course automobile en Angleterre. Il a perdu la vie à cette occasion.

Le soir du party de Noël, avant de donner mon spectacle costumé, je me trouvais aux côtés d'un ami Serge F. Il attendait sa compagne avec qui il avait eu 2 ou 3 enfants. Il était nerveux. Il se demandait pourquoi sa compagne n'était pas encore arrivée.

Il a téléphoné chez lui. Sa compagne lui a répondu. Elle était retournée à la maison parce qu'elle avait un problème avec l'auto. Elle lui a dit de ne pas s'inquiéter, qu'elle partait tout de suite.

Serge était encore inquiet. Il ne pouvait prendre le repas. Il est allé prendre un verre au bar. Sa compagne n'arrivait toujours pas. Il a téléphoné à la Sureté du Québec. Les policiers n'avaient rien à signaler. Ils ont tout de même noté le numéro de téléphone pour le rejoindre.

Serge était encore au bar, lorsque j'ai commencé mon spectacle. Puis il est sorti de la salle sans que je ne m'en aperçoive. Alors que je continuais mon monologue, Serge est entré, il a crié: ma femme est morte. Elle venait d'être frappée mortellement par un monsieur ivre qui s'était introduit sur l'autoroute dans le mauvais sens. Ça refroidit un party! Un party de Noël en plus.

Vous pouvez imaginer facilement que j'ai tout de suite mis fin au spectacle. Le plus incroyable, c'est que quelques collègues de travail ont suggéré de continuer le party. Je me suis approché à nouveau du micro pour dire que je n'avais plus le goût de continuer. Le respect commandait que chacun quitte les lieux.

Les deux exemples montrent des réalités bien différentes. Ma peur maladive de parler en public m'a donné des ailes. Je n'ai pas manqué une occasion de le faire jusqu'à ce que j'y prenne goût.Ceci me fut très bénéfique parce que durant la plus grande partie de ma vie active j'ai eu à le faire régulièrement. J'aurais pu réagir autrement. Je ne sais pas ce qui a fait la différence.

Le 2è exemple montre qu'il y a aussi des épreuves qui dépassent les limites de ce qui est acceptable. Pour ce type d'épreuves, je reste bouche bée, perplexe. Je ne trouve pas de logique suffisamment forte pour m'aider à comprendre qu'elles puissent exister.

Mais je sais que dans de telles occasions, le moindre geste est très touchant. Un médecin qui travaillait avec nous est allé commandé un gros jambon chez le boucher, l'a fait cuire et il est allé le porter en personne chez Serge. Il lui a dit: J'ai pensé que ça te serait plus utile que des fleurs.

Serge m'a raconté le lendemain comment le geste l'avait réconforté. Sa douleur le rendait plus sensible au moindre geste, surtout les plus symboliques et authentiques. J'ai été surpris de voir comment il pouvait puiser des forces dans la sympathie qui lui était témoignée.

Quand à moi, j'ai tout de même essayer de faire ma part. Mais j'allais frapper un mure...

A suivre...

11 commentaires:

Mysti a dit…

Comment des gens peuvent être égoïstes au point d'avoir envie de continuer à fêter alors qu'un malheur touche un proche? C'est inacceptable!

Votre texte m'a inspirée en ce qui concerne la confrontation des peurs. C'est admirable! Je le fais parfois, mais plus assez souvent. Je vais tâcher de m'en rappeler et d'en refaire un mode de vie.

Bonne fin de semaine!

Jackss a dit…

Ta réaction me plait beaucoup, Sourcil Jaune.

Je te jure que c'est un bon réflexe. Tu l'as déjà compris. J'ai appris que la peur pouvait être un très bon stimulant. Et c'est peut-être parce que j'étais plus peureux que d'autres que je l'ai appris.

Le premier emploi que j'ai eu, par hasard, c'était un emploi d'agent d'aide sociale. C'est un milieu où on voit beaucoup d'aggressivité et ça se comprend. Je paniquais royalement lorsque je devais affronter un client violent.

J'avais tellement la trouille que j'ai demandé qu'on me réfère tous les clients qui l'étaient. Mon anxiété était insupportable et je n'avait pas la stature d'un joueur de football. Il fallait apprendre à la contrôler.

J'en ai déjà parlé. Je vais en faire l'objet d'un prochain billet. Des faits vécus aident à comprendre.

Françoise a dit…

Moi-même, je suis une grande timide. J'ai pris de l'assurance en prenant de l'âge, mais je crois néanmoins que je garderai en moi cette timidité pour toujours. Mais malgré tout, et cela m'étonne à chaque fois, je sais sortir de mes gonds si l'occasion s'en présente. Je ne supporte pas, par exemple, que l'on s'acharne sur plus faible que soi, et je prends aussitôt sa défense. Ou bien, et là c'est la mère qui parle, que l'on dise du mal ou que l'on fasse du mal à mes enfants. Là, il n'y a plus de timidité aucune... je deviens féroce.
Bonne soirée à toi, Jackss.

Amelie a dit…

J'ai découvert votre blog en découvrant celui d'une femme qui vous avez dans ses favoris.
Votre billet est pour moi très intéressant. En effet, enfant j'adorais les défis qui pouvaient attenter à ma vie. Je jouais avec ma vie, lorsque je dis enfant, cela m'a pris à l'âge de 11 ans après avoir eu un accident de voiture. Mon père étant mort lors de ce tragique accident, je ne tenais plus à ma vie. Ma mère et moi n'étions pas proche. Comme elle était ma belle mère c'etait facile de mourir dix foix par jour.
Juste pour vous dire que votre billet m'a rappelé des souvenirs.

Amelie a dit…

J'ai oublié de préciser que je n'ai jamais eu peur de faire ou de ne pas faire

Jackss a dit…

Bonsoir Françoise,

On dirait que tu as lu mon prochain billet en préparation. C'est beau de voir quelqu'un capable de sortir les griffes pour défendre les siens.

Jackss a dit…

Bonjour Amélie,

Il est difficile d'imaginer pire que ce que tu décris. Bienvenue ici en souhaitant que tu y trouves un certain réconfort.

Anonyme a dit…

Perdre un conjoint qu'on aime dans la fleur de l'âge, perdre un enfant, perdre un parent lorsqu'on est enfant, c'est l'univers tout entier qui s'écroule. Où puise-ton la force alors de continuer à vivre, c'est un grand mystère pour moi. Mais cet homme a continuer à vivre pour ses enfants, et il a continuer à vivre grâce à ces liens qui nous rattachent aux autres et qui nous soutiennent lorsqu'on ne peut plus soi-même se porte et pourter sa vie tout seul : la compassion des proches.
Ceux qui sont seuls aux monde et qui vivent une telle épreuve dans la plus totale solitude, leur vie doit être un enfer.

Jackss a dit…

Encre,

Je ne peux parler que de moi, des personnes que j'ai connues. Moi aussi je me demande comment certaines personnes font pour s'en sortir continuer à vivre.

Mais ce qui m'épate, ce sont les gens qui ont réussi à le faire. Un deuil n'est jamais complètement réglé. Il m'arrive d'être triste en pensant à ma soeur Nicole décédé à 11 ans. Je suis incapable de rester les yeux ouverts quand un enfant meurt dans un film. Mais je me console à l'idée qu'elle est bien. Je me console en pensant comment elle était luicide, calme et sereine au moment de mourir.

Mon père a eu la plus belle mort qu'un homme peut espérer. Ma mère n'a plus avoir la même chance. Ma belle-mère si pleine de vie et si sociable vit d'Alzheimer depuis une vingtaine d'années. Elle ne reconnait plus personnes.

Serge a refait sa vie. Son courage m'a inspiré. Avant les funérailles, au salon, il présentait un diaporama qu'il commentait paisiblement.

Chaque période difficile, je les ai prise comme des défis, des occasions de grandir. Ce ne fut pas toujours de tout repos. J'ai connu des périodes de détresse, de découragement. Mais j'ai toujours refusé de m'apitoyer sur mon sort.

Dans mon cas, j'admets que j'ai eu le bonheur d'avoir une compagne rassurante. Elle m'a épaulé, m'a permis de faire mes petites crises à l'occasion.

Je crois aussi beaucoup à nos ressources intérieures. Un victoire intérieure attire la confiance en soi et d'autres victoires.

Je sympathise avec les gens qui sont seuls, mais je n'ai pas connu cette situation. Je peux avoir des idées personnelles, mais pas des opinions.

Encre a dit…

Tout à fait. Ce que tu raconte de cet homme et de ce qu'il afait aux funérailles de sa femme est stupéfiant. Juste avant de lire ton avant-dernier paragraphe, je pensais exactement la même chose : dans les moments de la plus grande détresse, les gens semblent se trouver des ressources qu'on ne soupçonnait pas.

Courrier Noir .... a dit…

Bonjour Jacks,
Et bien, à ce que je peux lire certains n'ont pas le respect, tu as bien fait de demander à tout le monde de quitter les lieux, comment peut-on faire la fête devant une tragédie.
La vie est étonnante quand même.

Je pensais que cela n'existait que par chez moi, mais qu'importe là où on est, la bétise n'a pas de frontière apparemment.

Je t'embrasse fort,
Sueanne