Ce que tu fuis, te suit
ce que tu fais face s'efface...
Suite du billet précédent... (Présence)
Je ne sais pas si c'est le décès de ma soeur Nicole à l'âge de 11 ans qui m'avait tant marqué. Mais il fut un temps où je ne voulais pas aller dans un salon funéraire. J'avais connu aussi deux amis plus jeunes que la vie avait ravis trop tôt. Leurs morts ne m'avaient pas vraiment traumatisé. Leur exposition, si.
J'avais dit à Laure à plusieurs reprises que les salons funéraires étaient tout simplement des institutions barbares et inhumaines. J'avais l'intention de les boycotter. Il me semblait que c'était un sacrilège de garder comme dernier souvenir l'image dérangeante d'un corps inanimé, les traits artificiellement tirés. Non, je ne voulais pas jouer le jeu. Je ne voulais surtout pas voir les photos qu'on prenait dans de telles occasions. J'avais en tête certaines photos de ma soeur Nicole décédée. J'aurais préféré ne jamais les avoir vus. Je n'ai jamais voulu voir celles de ma mère prises avant qu'on la mette en terre.
Un événement allait toutefois transformer mon attitude pour toujours. On peut parfois changer, malgré ce que j'ai souvent dit. J'ai voulu trouver le texte de cet ancien billet que j'ai lassé il y a plus de 4 ans sur cet ami que je n'avais pas su accompagner à son dernier repos. À ma grande surprise, j'ai vu que j'avais alors donné à peu près le même titre que pour le présent billet: l'absence remarquée.
Daniel J était un ami sympathique qui me visitait régulièrement. Il venait de la Gaspésie et se trouvait en Estrie comme animateur social. Il avait comme mandat de faire cheminer le personnel dans un processus de changement. Il devait modifier une attitude de résistances où le droit de gérance était une notion incomprise ne pas dire vue comme indésirable. Dans ces temps anciens, on n'aimait pas les boss.
Daniel était l'homme de la situation. Il était aimé de tout le monde. Il avait le physique de l'emploi: barbe et cheveux longs, l'air contestaire. C'était le type de personne que l'on recherchait dans certains milieux pour des pressions syndicales. Il bégayait et savait utiliser les jurons de façon à se rendre sympathique. En d'autre mots, c'était comme un représentant du boss déguisé en syndicaliste. L'illusion était parfaite.
Un jour, Daniel m'a appelé de sa chambre d'hôpital du CHUS de Sherbrooke où il venait d'être admis d'urgence. Je me suis empressé de m'y rendre. On m'a expliqué qu'il était dans une section isolée et que je devais porter un masque pour aller le voir. Tabarouette! Que je me suis dit. Ça doit être grâve.
Pour moi tout ce décor était surréaliste. J'ai entamé la conversation, comme on le fait toujours en demandant: Comment ça va ? Et, selon ce que veut l'usage, il m'a répondu: Ça va bien. Et à le voir, rien ne laissait croire que ce n'était pas le cas.
Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke
Daniel m'a expliqué le contexte qui l'avait amené à l'urgence et son passage rapide en isolation. Il m'en parlait de façon tellement dramatique que je n'ai pu m'empêcher de rire en imaginant la peur qu'il avait dû ressentir. Nous avons ri de bon coeur, parlant de choses et d'autres. Et je suis reparti de bonne humeur, rassuré, en lui promettant de revenir.
Deux ou trois jours plus tard, j'apprenais son décès. Je prenais toute la mesure de la fragilité de la vie. J'étais bouleversé, presque incrédule. Je me sentais incapable de me rendre le voir au Salon funéraire. Il venait de si loin. Ceux qui le connaissaient depuis longtemp étaient des inconnus pour moi. Je ne voyais donc pas ce que ma présence pouvait apporter à tout ce beau monde.
Le lundi, en revenant au travail, on m'a appris que toute la fin de semaine, la copine de Daniel avait demandé, au Salon, si j'allais venir faire une visite. Aux funérailles, elle a demandé à mes collègues de travail comment il se faisait que je n'était pas venu voir Daniel avant son dernier repos. Je n'avais vue cette copine de Daniel qu'une seule fois. Mais elle savait ce que j'avais représenté pour Daniel, sans même en avoir pleinement consciencde. Ce genre de situation, c'est ce que j'appelle un rendez-vous manqué, le genre de situation qui nous hante longtemps.
C'est dur de faire son deuil d'un rendez-vous manqué. Et j'en ai trop.
L'autel de l'absence Caracol(Carol Facal)
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Cet incident a transformé à jamais ma façon de voir et de me comporter lors d'un décès. Depuis ce temps, je me fais toujours un devoir d'être présent lors d'événements tragiques. Je sais qu'une présence dans ces occasions n'a pas de prix même si le principal intéressé n'est plus là.
Il faut savoir prendre place sur un siège vide qui a une histoire.
À la fin de janvier, nous avons encore pu réaliser avec intensité l'importance d'une présence dans des moments difficiles, en particulier dans la ;pire des situations: le décès d'un être cher. Lorsque nous nous sommes présentés, Laure et moi, au salon funéraire pour offrir nos condoléances à Jean le 28 janvier 2012, l'émotion fut à son comble. En donnant la main à Jean, je lui ai dit que nous tenions être à ses côtés à tout prix, même si le voyage aller-retour représentait 2500 km. Il ne nous attendait pas. Il ne put cacher son émotion,ses larmes. D'autres amis n'avaient pu venir et il en était triste. Jean et Mado représentaient beaucoup pour nous.
Il faut se rappeler que j'avais connu Jean parce qu'il était dans ma classe, en première année de médecine, à l'Université de Montréal.
Ce fut vite mon meilleur ami. Nous prenions nos pauses ensembles. Nous partagions des confidences. La plus grande fut l'annonce de son marigage avec Mado. Il était rayonnant, ému.
J'avais dû abandonner mon cours à la fin de ma première année d'université. Je caressais le rêve de me reprendre. Pendant que Jean poursuivait sa 2è année de médecine, je travaillais temporairement à Granby.
Laure qui n'était pas du tout de la même région fut aussi appelée, par hasard à y travailler comme enseignante dans un collège classique tout près de mon travail. Elle alla partager l'appartement de la secrétaire du bureau où je venais d'être engagé. Je fut vite séduit et émerveillé par les qualités de Laure. Elle enseignait le latin et le français, ce qui était bien. Mais j'étais impressionné par ses qualités au plan sociale et son esprit pratique toujours à la recherche de solution. Il me semblait qu'elle était née pour être travailleuse sociale.
Conséquences: nous nous sommes mariés quelques mois plus tard et j'ai recommandé à Laure de suivre un cours de services sociales pour mettre son potentiel en valeur. De Ganby, nous passons donc à Sherbrooke reconnu pour le dynamisme de son université. Jean Fortier marié à Mado pendant notre année de médecine, s'inscrit avec elle au Département de Services Sociales de l'Université de Sherbrooke et se retrouvent tous les deux dans la même classe que Laure. Par un drôle de hasard, Jean avait en peu de temps été dans ma classe à l'Université de Montréal et dans celle de Laure à l'Université de Sherbrooke.
Ils eurent des enfants, nous avons fait de même et nos enfants sont devenus amis. Nous avons passé des vacances ensembles.
Puis, plus tard, Jean retourna s'installer à Montréal avec sa famille. Il travailla au CLSC Centre Sud. Toute la synchronicité qui avait imprégné nos parcours n'allaient pas s'arrêter là. Par de drôles de circonstances imprévisibles, on m'affecta au beau chef de mon organisme. Laure demeura à Sherbrooke et moi, je me suis retrouvé à Montréal. Aussitôt arrivé dans mes nouveaux locaux de travail au siège social de la rue Berri à Montréal, je fais une découverte surprenante.
Quand le hasard sonne plusieurs fois à la même porte, il y a lieu de s'étonner.
Dieu réunit ceux qui s'aiment... À suivre....