
C'est impressionnant une gare. Celle que vous voyez, ce n'est pas une image que j'ai choisie par hasard. C'est la gare de St-Hyacinthe. Tous les mois, durant mon enfance, nous y prenions un train pour la même destination, avec la même émotion.
Il me semble encore entendre le sifflement du train, le bruit des roues de métal sur les rails. Presque trop jeunes pour comprendre dans toute som ampleur le drame qui se jouait, nous revivions chaque mois le même déchirement, la même douleur dans le coeur de ma pauvre mère. Nous prenions le train pour visiter Manon, la plus jeune de mes soeurs. Chaque fois, c'était comme un nouveau deuil. Il me semble revivre la tristesse qui planait dans l'air. Manon ne s'appelait plus Manon. Elle avait reçu un nouveau nom et un nouveau prénom, comme pour mieux marquer la cassure.
Sur le quai de cette même gare, il y a cette photo de ma soeur Nicole avec Yves, d'un an mon aîné. Elle avait pris trop tôt le dernier train, suite à la grippe asiatique de 1957. Je ne peux voir de gare sans y penser. C'est triste une gare. Pourtant, je sais bien que nous aurons tous un dernier train à prendre un jour ou l'autre.
Le plus ironique, c'est que ce n'est qu'après notre départ que nos proches prennent la mesure de ce que nous représentons pour eux. Le décès de Michael Jackson n'a pas fait exception. Il est parti trop vite, trop bêtement. Et on pleure. On ne trouve plus le qualificatifs assez forts. Certains vont même jusqu'à prétendre que c'est le chanteur du millénaire qui vient de s'éteindre. On se calme!
Je ne peux m'empêcher de citer à nouveau un fait vécu.
Il y a fort longtemps, j'avais été à la messe avec mon jeune fils, aujourd'hui auteur-compositeur-interprète comme plusieurs jeunes de son âge. Il avait peut-être 6 ans. En sortant de l'église, Jean-Philippe, de son vrai nom, m'a dit: Papa, pendant toute la messe j'ai chanté à Jésus, dans ma tête, "Beat it" de Michael Jackson. Penses-tu qu'il a aimé ça? Je lui répondu: C'est sûr. Il a dû tripper.
C'est beau une âme d'enfant.
Marguerite-Marie écrivait en commentaire suite à mon dernier billet: Aujourd'hui je commence à trouver que même ici en France on en fait un peu beaucoup à propos de M. Jackson...on entend des auditeurs pleurer et allant jusqu'à déclarer avoir autant de peine que s'ils avaient perdu un proche.
Ce commentaire est allé chercher dans ma mémoire un souvenir de 1962. Cette année-là, je suis allé voir un film qui m'a tellement impressionné que je me souviens encore du titre: Gigot. Je me souviens de l'acteur qui tenait le premier rôle: Jackie Gleason. C'est dire jusqu'à quel point l'histoire m'a marqué. Imaginez, j'ai vu le film une seule fois, en 1962 et je le raconte seulement de mémoire, au risque de me tromper un peu.
Gigot, c'est un peu le fou du village, celui que tout le monde accepte, mais qui dérange et fait peur parce qu'il est différent. Le plus grand passe-temps de Gigot, c'est d'aller à des funérailles, même s'il ne connait pas le défunt. Il pleure à chaque fois, ému.
Un jour il vole un morceau de pain pour le donner à une enfant. Toute une meute de villageois part à ses trousses, brandissant les points, des batons et bien d'autres instruments offensifs. Gigot perd pied et tombe dans une rivière. On le prend pour mort. On lui prépare des funérailles. Tout le monde pleure pendant l'homélie au cimetière. On se rappelle son bon coeur. Gigot n'était pas mort. Caché, il pleure en entendant tout le bien qu'on dit de lui. Puis, il sort de sa cachette et se montre le visage comme pour dire: Ne pleurez pas, je suis vivant! Tout le monde repart à ses trousses de nouveau, les points au ciel en criant et injuriant Gigot. C'est ainsi que finit le film.
Cette situation, on la vit plusieurs fois dans sa vie. Même un départ crée un effet semblable. Après 4 décès en 2 jours (ne pas oublier Roméo Leblanc), voilà qu'un des anciens ministres les plus prometteurs quitte aussi le bateau. Les meilleurs finissent toujours par partir. Et c'est au moment de leur départ qu'on chante leur mérite.
Francçois l'égault était un modèle, mon idole politique. Il savait allier compétence, intégrité et efficacité. Pour moi, son départ est encore plus catastrophique que celui de Michael Jackson. C'est autre deuil à faire. Je ne vois personne pour combler le vide. François Legault a pris un billet aller seulement. Certains disent qu'il pourrait revenir pour une prochaine course au leadership.Si on revient, après une longue absence, même ceux qui nous ont pleuré ne resentiront probablement pas l'émotion attendue. J'ai déjà connu des amis avec qui j'avais vécu des situations intenses pendant de nombreuses années. En les revoyant, j'ai souvent été surpris de voir jusqu'à quel point toute trace émotive avait disparu.
Le temps ne se rattrape pas. Il est difficile de retrouver ce qu'on a laissé derrière soi.Il faut le vivre intensément pendant qu'il est là. Seul le souvenir peut refleurir avec autant d'éclat. Il permet même d'embellir la réalité.Sur le quai d'une gare, je préfère marcher sans me retourner.
Après avoir écrit ce billet, suite au Commentaire de Delphinium, j'ai réalisé encore une fois comment le hasard était curieux. Je remarque que mon fils Jipé touche des thèmes et des images qui me collent à la peau. Prenez, par exemple, son dernier vidéoclip tourné dans un train. Il est question de ce que j'appelerais le temps qui casse.





















