
C'est impressionnant une gare. Celle que vous voyez, ce n'est pas une image que j'ai choisie par hasard. C'est la gare de St-Hyacinthe. Tous les mois, durant mon enfance, nous y prenions un train pour la même destination, avec la même émotion.
Il me semble encore entendre le sifflement du train, le bruit des roues de métal sur les rails. Presque trop jeunes pour comprendre dans toute som ampleur le drame qui se jouait, nous revivions chaque mois le même déchirement, la même douleur dans le coeur de ma pauvre mère. Nous prenions le train pour visiter Manon, la plus jeune de mes soeurs. Chaque fois, c'était comme un nouveau deuil. Il me semble revivre la tristesse qui planait dans l'air. Manon ne s'appelait plus Manon. Elle avait reçu un nouveau nom et un nouveau prénom, comme pour mieux marquer la cassure.

Elle avait pris trop tôt le dernier train, suite à la grippe asiatique de 1957. Je ne peux voir de gare sans y penser. C'est triste une gare. Pourtant, je sais bien que nous aurons tous un dernier train à prendre un jour ou l'autre.
Le plus ironique, c'est que ce n'est qu'après notre départ que nos proches prennent la mesure de ce que nous représentons pour eux. Le décès de Michael Jackson n'a pas fait exception. Il est parti trop vite, trop bêtement. Et on pleure. On ne trouve plus le qualificatifs assez forts. Certains vont même jusqu'à prétendre que c'est le chanteur du millénaire qui vient de s'éteindre. On se calme!
Je ne peux m'empêcher de citer à nouveau un fait vécu.

Je lui répondu: C'est sûr. Il a dû tripper.
C'est beau une âme d'enfant.
Marguerite-Marie écrivait en commentaire suite à mon dernier billet: Aujourd'hui je commence à trouver que même ici en France on en fait un peu beaucoup à propos de M. Jackson...on entend des auditeurs pleurer et allant jusqu'à déclarer avoir autant de peine que s'ils avaient perdu un proche.
Ce commentaire est allé chercher dans ma mémoire un souvenir de 1962. Cette année-là, je suis allé voir un film qui m'a tellement impressionné que je me souviens encore du titre: Gigot. Je me souviens de l'acteur qui tenait le premier rôle: Jackie Gleason. C'est dire jusqu'à quel point l'histoire m'a marqué. Imaginez, j'ai vu le film une seule fois, en 1962 et je le raconte seulement de mémoire, au risque de me tromper un peu.
Gigot, c'est un peu le fou du village, celui que tout le monde accepte, mais qui dérange et fait peur parce qu'il est différent. Le plus grand passe-temps de Gigot, c'est d'aller à des funérailles, même s'il ne connait pas le défunt. Il pleure à chaque fois, ému.

Tout le monde repart à ses trousses de nouveau, les points au ciel en criant et injuriant Gigot. C'est ainsi que finit le film.
Cette situation, on la vit plusieurs fois dans sa vie. Même un départ crée un effet semblable. Après 4 décès en 2 jours (ne pas oublier Roméo Leblanc), voilà qu'un des anciens ministres les plus prometteurs quitte aussi le bateau. Les meilleurs finissent toujours par partir. Et c'est au moment de leur départ qu'on chante leur mérite.

Si on revient, après une longue absence, même ceux qui nous ont pleuré ne resentiront probablement pas l'émotion attendue. J'ai déjà connu des amis avec qui j'avais vécu des situations intenses pendant de nombreuses années. En les revoyant, j'ai souvent été surpris de voir jusqu'à quel point toute trace émotive avait disparu.

Sur le quai d'une gare, je préfère marcher sans me retourner.
Après avoir écrit ce billet, suite au Commentaire de Delphinium, j'ai réalisé encore une fois comment le hasard était curieux. Je remarque que mon fils Jipé touche des thèmes et des images qui me collent à la peau. Prenez, par exemple, son dernier vidéoclip tourné dans un train. Il est question de ce que j'appelerais le temps qui casse.