

Suite du billet précédent
Se mentir, c'est mourir un peu.
(Réflexion personnelle)
à gauche: 1970, avec Sebastein
en bas: 1976: avec Véro

Il adorait Laure. Ce qui me frappait dans le comportement de mon père, c'était l'écart terrible entre ce qu'il était et les valeurs qu'il projetait. On aurait dit à l'entendre que c'était un être sans reproche. Il avait une vision juste de tout, jugeait sévèrement tout comportement contraire à la morale chrétienne. Il avait la stature de toutes les grandes vedettes de cinéma américain: il incarnait la perfection en facade. Les autres c'étaient les méchants des films américains. Sauf ma mère. Il a toujours parlé en bien de ma mère.
Cet écart entre ses aspiration et la réalité devait lui faire ressentir une grande souffrance et de la culpabilité. Je me souviendai toujours comment il nous serrait dans ses bras quand il venait nous voir à l'orphelinat, surtout Nicole. Je le regardais pleurer et j'en étais profondément bouleversé.
Dans nos rencontre avec lui, après mon mariage, il nous racontait toutes sortes d'histoires que nous écoutions avec politesse. Certaines nous paraissaient douteuses et loufoques. Il nous a raconté par exemple un jour qu'il avait maîtrisé un homme qui menaçait une dame et qu'on avait parlé de lui dans le journal.
Nous allions le visiter. Je lui écrivais des lettres. Il me répondait gentilment. Nos rencontres étaient chaleureuses. On le sentait fier d'être grand-père. C'était sympathique. Puis, la vie étant ce qu'elle est, le temps s'est fait de plus en plus rare. Les enfants, le boulot, la vie... le temps emporte tout.
Jipé 11 ans

On dit qu'un homme ne pleure pas. Il a pleuré ce jour-là. Il se sentait seul. Il demeurait à plus de 200 kilomètres de chez moi. J'ai dû lui dire que le temps me faisait défaut.
Deux ou trois mois plus tard, j'ai reçu un autre coup de fil de mon père. Il m'a dit qu'il venait de sortir de l'Hôpital Notre-Dame à Montréal. En larmes, il a jouté qu'on lui avait annoncé qu'il avait un cancer du poumon et qu'il ne lui restait beaucoup de temps à vivre. Je ne l'ai pas cru. Je pensais qu'il s'ennuyait tout simplement. Je lui ai répondu tout bêtement: Écoute papa, si tu étais si malade que ça, on t'aurait gardé à l'hôpital. Comme réplique, ce n'était pas la plus empathique du siècle. J'avais déjà fait mieux. Et comme vous voyez, mes réactions ont des ratés comme tout le monde.
À la fête des mères, à la mi-mai 1985, ma soeur Manon qui travaillait à l'hôpital Notre-Dame me dit qu'elle avait vérifié et que mon père était effectivement atteint d'un cancer incurable. Mon sang n'a fait qu'un tour. J'aurais dû croire mon père. Je me suis senti coupable. Je n'étais pas fier de moi.
En rentrant chez moi, sans perdre un instant j'ai appelé chez mon père. La dame qui l'hébergeait m'a dit que mon père serait comblé si j'allais le visiter, qu'il en avait bien besoin. Elle m'a dit qu'elle était inquiète de lui. Ça m'a donné un choc. Je l'ai assurée que j'y serais dès le lendemain.
J'ai pris une journée de congé, ce qui était exceptionnel dans mon cas. J'avais hâte de voir dans quel état je le retrouverais. Je souhaitais profondément qu'il soit suffisamment lucide pour ce qui pouvait être un ultime échange. Ma vie s'est repassé comme en accéléré dans ma tête.
Avant d'entrer dans sa maison, j'ai eu l'impression qu'une page importante de notre vie était sur le point de s'écrire.
À suivre...