mardi 19 mai 2020

Mémoire oubliée

Le 22 mai 2020, Laure aurait eu 76 ans, mais elle n'atteindra jamais la rive,
Son âme s’est envolée vers d’autres cieux.
Un deuil comme celui-là, je crois que c'est pour la vie. (sans jeux de mots)

Le Covid-19 prend toute  la place dans nos bulletins de nouvelles. On ne parlent que de ça depuis des mois.  C'est comme si c'était la première fois qu'on connaissait cette situation. Pourtant, il y en a toujours eu, même dans l'Antiquité. Les pandémies les plus récentes que l'on cite:
  • La Peste noire (1347 - 1351)
  • La grippe espagnole (1918 - 1919)
Ceux qui ont connu ces pandémies sont presque tous morts. Mais il y a une pandémie beaucoup plus récente dont nos ainés se souviennent: la grippe asiatique (1956-1957). On oublie souvent de consulter la richesse du savoir de nos ainés. La grippe asiatique, elle fut terrible. Nicole fut fauchée en novembre 1957 en moins d'une semaine.

Nicole à droite (Noel 1956) avec sa sœur Micheline et ma mère
De gauche à droite (mon frère Yves ms sœur Micheline, Francine, Nicole)





Cette photo de Nicole a été prise, je crois 3 mois avant sa mort. Elle était belle, vive et jamais malade.
La grippe asiatique  figure parmi les 10 plus importantes pandémies de l'histoire."https://fr.wikipedia.org/wiki/Pandémie



Toutes les écoles et les commerces étaient fermés. Yves était fiévreux alité à l'infirmerie du Patro.
Un drame comme celui qui allait suivre, ça ne s'oublie pas et le choc est encore pire puisque Laure nous a quittés en pleine pandémie. Ça fait revivre des souvenirs plutôt déchirants.

La joie

J'étais en congé seul avec ma mère puisque je n'avais pas le virus. Le dimanche, Nicole alors pensionnaire à l'orphelinat des sœurs grises, avait congé puisque c'était un dimanche. Elle était pleine d'énergie. Elle riait, sautait sur le lit de ma mère, ce qui me scandalisait. Micheline n’avait pas eu la permission d’accompagner Nicole. Elle était pensionnaire avec elle mais ne pouvait sortir étant fiévreuse et atteinte du virus de la grippe asiatique.

Le drame




A gauche notre mère en 1960

Nicole était en pleine santé le dimanche. Elle était venue en fin de semaine avant de retourner où elle était pensionnaire. Le mardi, elle fit une poussée de fièvre et fut transportée à l'hôpital en ambulance. J'étais aux côtés de ma mère lorsqu'elle a reçu le coup de fil lui annonçant l'incident. Je me rappelle encore de tous les détails. Je revois encore les jambes  tremblantes de ma pauvre mère conne si elle appréhendait déjà le pire. Souvent une catastrophe est précédée d’un terrible pressentiment, du moins c’est mon cas. Je me souviens que Laure ne voulait pas que j’appelle l’ambulance la dernière fois qu’elle est partie pour l’hôpital. 

Nicole fut hospitalisée et sa poussée de fièvre ne put s'arrêter. Elle délirait continuellement. On l'avait placée sous une tente d'oxygène. Le médecin dit à ma mère que sa fièvre avait été tellement forte que même si elle revenait à la santé, elle ne retrouverait pas ses facultés.

À notre grande surprise, au début de la soirée du vendredi 11 octobre, elle s'est assise dans son lit, nous a tous salué à tour de rôle. 

Puis elle a dit:
Comment ça se fait que j'étais morte et que je ne suis plus morte? Ma mère crut au miracle et dit à Nicole qu'elle était bien heureuse de la voir prendre du mieux, qu'elle avait hâte de la ramener à la maison. Nicole, avec un calme et une lucidité étonnant lui répondit: Ne pense pas ça, maman. Tu vas te faire du mal pour rien. Je ne retournerai plus jamais à la maison et c'est très bien comme ça. Elle est décédée quelques heures plus tard, en soirée.

Elle avait demandé un crayon et du papier. Elle avait écrit sur ce papier: « Je vous salue... » Elle avait tourné le papier de côté pour écrire le même mot. Nous n’avons jamais su si ce mot était un message d’adieu ou une demande de prier pour elle en récitant des « Je vous salue Marie ».

Nicole avait pourtant perdu connaissance au début de la même semaine, avait eu de la fièvre et déliré sans arrêt le reste de la semaine. Le médecin avait dit qu'elle avait fait trop de fièvre pour retrouver ses facultés. Pour moi, tout ça demeure pur mystère. 


Similitudes entre la grippe asiatique et covid19


  • Les deux viennent de la Chine qui n'en a pas reconnu la paternité. Mais dans sa grande  bonté, Donald Trump leur en a donné le mérite.  La grippe asiatique a été baptisée plus tard sous le nom de H2N2. La grippe espagnole vient des États-Unis. On l'a appelée grippe espagnole parce que c'est le premier pays qui a eu le courage d'en parler.
  • Aucun vaccin n'existait à l'origine de ces pandémies.
  •  On a caché l'existence de ces pandémies pour ne pas nuire à l'économie des pays concernés.
    Conclusion: des million de morts qui auraient pu être évités. Aucun coupable identifié. 
  • Yves et Nicole à la gare de St-Hyacinthe
     Les deux pandémies m'ont touché de plein fouet, Nicole en est morte, Yves a failli y laisser sa peau et Laure est décédée au tout début de la distanciation sociale. Heureusement, puisqu'il faut voir un point positif, la distanciation dans les hôpitaux, est entré en vigueur une semaine après son décès.


Je ne peux m'empêcher de penser aux centaines de milliers de morts emportés par la covid19. On les banalise comme si c'étaient seulement des statistiques. On oublie tous les drames qui s'y cachent, souvent en l'absence des proches.

8 commentaires:

  1. J'y pense souvent à tous ces gens morts dans l'anonymat, sans personne pour leur tenir la main.

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  2. Bonjour Gabrielle
    C’est tout à ton honneur. J’ose à peine imaginer comment ça peut se vivre de part et d’autres. Laure tenait tellement à ce que je couche au pied de son lit sur un lit de camp. Les infirmières m’ont dit plusieurs fois comment Laure appréciait que je sois là.

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  3. Je viens d’ajouter deux informations au message original: Micheline n’avait pas eu droit de sortie étant atteinte par la grippe asiatique. Elle avait aussi écrit « Je vous salue » sur un bout de papier.

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  4. Jackss,

    Toujours aussi intéressants tes billets.

    Il s'agit du premier témoignage qu'on me fait en rapport avec la grippe asiatique.

    Les plus vulnérables étaient les gens ayant une faiblesse au cœur et les femmes enceintes. Curieusement, cette grippe n'affectait pas les personnes âgées. En 1957 ma mère était enceinte de moi. Pas plus tard que la semaine passée je lui ai demandé s'il y avait eu confinement ou si d'autres mesures spéciales avaient été imposées. Elle m'a répondu non, que cette pandémie n'avait pas été un fait marquant dans sa vie. Ma mère a pourtant une excellente mémoire.

    Au sujet des multiples décès reliés à cette pandémie, on en parle peu. Je pense que c'est dans la nature humaine de vivre d'espoirs, de se concentrer sur des choses autrefois banales mais devenues significatives. Cela permet de passer à travers une crise qui n'est pas encore terminée sans devenir fou. La Vie doit continuer, elle prime sur tout.

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  5. Grand-Langue,
    Selon Quebec-Science, cette épidémie aurait fait jusqu’à 3 millions de morts. Mais, on en parlait peu. Il n’y avait pas de concertation ni informations publiques. Deux de mes sœurs étaient pensionnaires et plusieurs étaient alités. Ma sœur Nicole décédée suite à la grippe asiatique étaient en très bonne santé, jamais malade. Voici ce qu’en dit Quebec-grippe asiatique

    Aujourd’hui méconnue, la pandémie de grippe asiatique, de type H2N2, occasionne entre 2 et 3 millions de décès dans le monde entre 1956 et 1958. Les scientifiques connaissaient bien les virus grippaux de type H1N1. Et s’il existe alors des vaccins antigrippaux, ils ne sont pas efficaces contre ce nouveau virus. La France est durement touchée avec 9 millions de malades et 100 000 morts. Elle atteint l’Amérique à l’été et pénètre au Québec en septembre 1957. Le paquebot Ivernia, parti du Havre, accoste à Québec avec à son bord 64 passagers atteints de la maladie. Ceux-ci sont répartis dans quatre hôpitaux de la Capitale et le navire poursuit sa route vers Montréal. L’épidémie se répand rapidement et de nombreuses écoles sont fermées. Heureusement, il n’y aura que peu de victimes. Il ressort de cette épidémie que le Québec est fort mal préparé à ce type d’événement comme le souligne l’historien Jean Provencher : «Il est étonnant de constater l’absence de coordination à l’échelle du Québec. Jamais le ministre québécois de la Santé de l’époque, Arthur Leclerc, ne prend la parole. Jamais son ministère n’y va d’un plan d’attaque et de directives pour l’ensemble des citoyens. Le ministère d’Éducation inexistant, le réseau scolaire québécois est laissé à lui-même. Ainsi, des écoles ferment lorsque l’institutrice tombe malade, d’autre restent ouvertes.»

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  6. Vous avez été bien éprouvé par ces pandémies, on sous estime souvent le traumatisme subi par les enfants d'une fratrie lorsque l'un vient à décéder , il n'y a pas de mot pour ça.
    Je vous souhaite beaucoup de courage.
    Geneviève sud de France

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  7. Merci pour ce mot d’encouragement, Geneviève.
    C’est toujours apprécié. C’est précieux et je le suis d’autant plus que j’ai vécu quelques mois à Montpellier avec Laure. J’ai adoré ce coin de pays. Le deuil de ma sœur Nicole à l’âge de 11 ans fut terrible. Je pense encore régulièrement à elle. Le décès de ma conjointe Laure m’a permis de vivre une situation difficile à comprendre quand on ne l’a pas vécu. Quand je pense à tous ces décès liés à la covid19, je pense à toutes ces émotions déchirantes qui se cachent derrière des statiques que l’on finit par constdérer normales.

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  8. Il y avait eu aussi la grippe de Hong Kong dont on ne parle que très peu. Cette pandémie a duré de juillet 1968 au printemps 1970. Mon père, nous l'avons appris des années plus tard car personne ne parlait de cette grippe, est mort à 59 ans de la grippe de Hong Kong.

    C'est vrai ce que tu dis, Jackss, avec toutes ces statistiques, certains ne pensent même pas à la souffrance des personnes qui sont touchées de près. On ne sait que nous dire, il y a eu tant de morts, etc., et tout cela sans émotion aucune. Mais ces morts étaient des personnes que nous aimions, des personnes qui avaient envie de vivre...

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