jeudi 27 novembre 2008

Se mentir, c'est mourir un peu



Suite du billet précédent

Se mentir, c'est mourir un peu.
(Réflexion personnelle)


à gauche: 1970, avec Sebastein
en bas: 1976: avec Véro


Après la naissance de Frédéric, seul Michel et moi avons revu mon père. Il venait me voir à l'occasion. Il l'a fait par exemple à l'occasion de la naissance de mon premier fils, ma fille et mon dernier. Il leur apportait des cadeaux. Il était tendre et sympathique avec eux. C'était à la fois émouvant et triste de le voir.

Il adorait Laure. Ce qui me frappait dans le comportement de mon père, c'était l'écart terrible entre ce qu'il était et les valeurs qu'il projetait. On aurait dit à l'entendre que c'était un être sans reproche. Il avait une vision juste de tout, jugeait sévèrement tout comportement contraire à la morale chrétienne. Il avait la stature de toutes les grandes vedettes de cinéma américain: il incarnait la perfection en facade. Les autres c'étaient les méchants des films américains. Sauf ma mère. Il a toujours parlé en bien de ma mère.

Cet écart entre ses aspiration et la réalité devait lui faire ressentir une grande souffrance et de la culpabilité. Je me souviendai toujours comment il nous serrait dans ses bras quand il venait nous voir à l'orphelinat, surtout Nicole. Je le regardais pleurer et j'en étais profondément bouleversé.

Dans nos rencontre avec lui, après mon mariage, il nous racontait toutes sortes d'histoires que nous écoutions avec politesse. Certaines nous paraissaient douteuses et loufoques. Il nous a raconté par exemple un jour qu'il avait maîtrisé un homme qui menaçait une dame et qu'on avait parlé de lui dans le journal.

Nous allions le visiter. Je lui écrivais des lettres. Il me répondait gentilment. Nos rencontres étaient chaleureuses. On le sentait fier d'être grand-père. C'était sympathique. Puis, la vie étant ce qu'elle est, le temps s'est fait de plus en plus rare. Les enfants, le boulot, la vie... le temps emporte tout.

Jipé 11 ans
En fin d'année 1984, durant la période de Noël, j'ai reçu un coup de fil de mon père. Il nous souhaitait une bonne année.

On dit qu'un homme ne pleure pas. Il a pleuré ce jour-là. Il se sentait seul. Il demeurait à plus de 200 kilomètres de chez moi. J'ai dû lui dire que le temps me faisait défaut.

Deux ou trois mois plus tard, j'ai reçu un autre coup de fil de mon père. Il m'a dit qu'il venait de sortir de l'Hôpital Notre-Dame à Montréal. En larmes, il a jouté qu'on lui avait annoncé qu'il avait un cancer du poumon et qu'il ne lui restait beaucoup de temps à vivre. Je ne l'ai pas cru. Je pensais qu'il s'ennuyait tout simplement. Je lui ai répondu tout bêtement: Écoute papa, si tu étais si malade que ça, on t'aurait gardé à l'hôpital. Comme réplique, ce n'était pas la plus empathique du siècle. J'avais déjà fait mieux. Et comme vous voyez, mes réactions ont des ratés comme tout le monde.

À la fête des mères, à la mi-mai 1985, ma soeur Manon qui travaillait à l'hôpital Notre-Dame me dit qu'elle avait vérifié et que mon père était effectivement atteint d'un cancer incurable. Mon sang n'a fait qu'un tour. J'aurais dû croire mon père. Je me suis senti coupable. Je n'étais pas fier de moi.

En rentrant chez moi, sans perdre un instant j'ai appelé chez mon père. La dame qui l'hébergeait m'a dit que mon père serait comblé si j'allais le visiter, qu'il en avait bien besoin. Elle m'a dit qu'elle était inquiète de lui. Ça m'a donné un choc. Je l'ai assurée que j'y serais dès le lendemain.

J'ai pris une journée de congé, ce qui était exceptionnel dans mon cas. J'avais hâte de voir dans quel état je le retrouverais. Je souhaitais profondément qu'il soit suffisamment lucide pour ce qui pouvait être un ultime échange. Ma vie s'est repassé comme en accéléré dans ma tête.

Avant d'entrer dans sa maison, j'ai eu l'impression qu'une page importante de notre vie était sur le point de s'écrire.

À suivre...




10 commentaires:

  1. On peut se demander comment j'avais pu être aussi insensible au téléphone de mon père lorsqu'il m'avait parlé de son cancer en 1985.J'étais pourtant le même homme qui avait su lui parler dans l'auto à la naissance de Frédéric.

    Elle est complexe la vie. Un événement se produit presque toujours à la croisée de plusieurs histoires.

    J'aurais pu vous raconter au moins un quinzaine d'histoires différentes plus dramatiques les unes que les autres. Le téléphone de mon père a été une page commune à chacune de ces histoires allant dans toutes les directions.

    J'aurais pu vous parler de mon boulot dans une de ces histoires. J'aurais pu vous parler d'un patron qui me demandait de donner tout pour cette entreprise qui ne voulait pas simplement mon coeur, mais aussi mon âme.

    J'aurais pu vous parler d'un de mes fils qui vivait une détresse. J'aurais pu vous raconter l'histoire d'un autre qui jouait au soccer et avait déjà un début de carrière artistique qui exigeait un accompagnement quotidien.

    Tout ça et bien d'autres choses étaient présentes pour ne pas dire préoccupantes lorsque mon père a téléphoné.

    J'ai un mécanise de défense lorsque j'en ai trop sur les bras: je décroche. Je mets la switch à off.

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  2. Jacks, cela va te paraitre étrange, mais ton père me fait de la peine. Il a choisi une certaine voie, mais elle lui a coûté beaucoup dans la vie,
    On devient pas ce que l'on est aujourd'hui sans l'aide et le cauchemar des épreuves que l'on doit subir, peut-être a-t-il eu du mal à faire facee, moi même je ne fais pas face. La différence c'est que je m'isole quand j'en éprouve le besoin.
    La vie n'est pas facile, on fait de son meiux avec les cartes qu'on a en main et ceux qu'on échange parfois.

    Je t'embrasse mon ami,
    Sueanne

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  3. Bonsoir,
    Jackss, Courrier noir et toi avais un lien de parenté ? c'est votre fille ?
    Si je vous pose la question c'est à cause de vos écrits à tous les deux.

    Vous n'avez pas à culpabiliser, vous avez été un bon fils, un ami pour votre père.

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  4. Bonjour Maurice,

    Si Courrier Noir était ma fille, j'en serais ravi et honoré. Mais un océan nous sépare. Nous sommes des amis virtuels.

    Il fut question de mes ancêtres partis de Rodez dans le Sud de la France il y a environ 400 ans. Si mes ancêtres étaient restés là au lieu de venir faire l'aventure en Amérique et jouer aux cowboys avec les Indiens, peut-être aurais-je pu être voisin de ses parents.

    Le hasard en a décidé autrement et s'est complètement foutu de tous les peut-être. Je suis à 20 minutes de la frontière du Vermont aux États-Unis depuis 1967.

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  5. Bonjour Sueanne,

    Si j'ai parlé de mon père, c'est justement parce que, pour moi, il incarne la souffrance. Nous parlions de la souffrance comme inutile et inacceptable.

    Ma soeur Manon m'a dit qu'elle ne pouvait croire en Dieu à cause de la souffrance. Elle ne pouvait concevoir un être tout-puissant qui ait permis à la souffrance d'exister. J'étais un peu d'accord avec elle, mais pas sur la conclusion. L'histoire de la mort de mon père illustre justement comment la souffrance peut faire avancer.

    Nous avons tous nos mécanismes de défenses, Sueanne. Enfin presque tous. Il m'arrive de faire comme toi: m'isoler, me refermer comme une moule. C'est une façon comme une autre d'avancer. Ta poésie ne serait probablement jamais aussi géniale et sensible si tu réagissais autrement.

    Je crois qu'il n'y a rien d'inutile dans la vie. Ta façon de réagir, d'être toi en vaut bien d'autres. Et je suis honoré d'en bénéficier.

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  6. Petite infomation intéressante

    Dans mon billet précédent, j'ai parlé de la naissance de Frédéric. Il a grandi le neveau. Il s'occupe maintenant de finances et d'administration.

    Il a un blogue très bien fait en la matière. Il vient entre autre d'aborder notre bon vieux système de santé un peu mal en point. Voir le lien suivant le gestionnaire Bord

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  7. Merci pour ta réponse sincère. J'ai posé la question à Sueanne, elle m'a répondu que tu étais trop jeune pour être son père et elle trop vieille pour être ta fille. Le courrier noir a un sens de l'humour!

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  8. Merci pour ce clin d'oeil, Maurice

    Il m'a fait sourire. Ce qui est beau dans notre univers virtuel, c'est que l'àge n'existe plus. Ce sont nos âmes qui se parlent. Et elles vivent d'éternité.

    Pour être honnête, il me faut remettre aussi les pendules à l'heure. La photo qui m'identifie ne date pas d'hier. J'avais 50 ans. J'ai changé de dizaine depuis.

    Quant à la photo de Laure, elle date de 1985, année de la mort de mon père.

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  9. J'allais réagir à ton billet si touchant et comme d'habitude, j'ai lu tous les commentaires des amis(es) avant de procéder... C'est là que j'ai découvert que tu venais d'écrire la plus belle perle : « Ce qui est beau dans notre univers virtuel, c'est que l'âge n'existe plus. Ce sont nos âmes qui se parlent. Et elles vivent d'éternité. »

    Là, vraiment, cher ami, j'ai tout oublié ce que je voulais te dire, je suis tombée sous le charme!

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  10. Merci Zoreilles,

    Je suis sensible à de si beaux commentaires.

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