Pourquoi ne meurt-il pas, à la fin? Elle cherche dans le récit de l'homme quel mot de passe lui manque pour mourir. Tout son corps ne demande que ça, c'est clair. Et pourtant il est là à s'accrocher, et Elisabeth Kübler-Ross sait bien ce que celà signifie: il y a de l'unfinished business dans l'air, du travail inachevé.La mort de mon père
La Source Noire, Patrice Van Eesel, Édition Grasset, 1986
Après le décès de mon père, il y a eu plusieurs phénomènes étranges। Des coïncidences ? Je le crois। Mais leur ampleur me laisse tout de même perplexe et songeur. J’ai vérifié avec ma sœur Micheline si ma mémoire était bien fidèle. Elle a confirmé, signé et en a rajouté.
J'ai hésité avant d'en parler. J’ai finalement décidé de ne pas le faire. Les faits sont tellement inusités que je risquerais de perdre toute crédibilité pour ce que j’ai déjà raconté. Je n’ai pas voulu prendre le risque d’attirer la suspicion que mon père attirait quand il racontait ses histoires.
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Les histoires de mon père
Un exemple? Un jour mon père était venu me rendre visite à Sherbrooke. Il était de bonne humeur. Dans la soirée, il me raconta qu’il avait vécu toute une aventure. Il était concierge à Montréal. Une dame avait été agressée, menacée avec un couteau. N'écoutant que son courage, il s’était rué sur son aggresseur, l’avait maîtrisé et avait appelé la police. J’ai regardé un peu au ciel, puis à côté avant de changer de discours. Ouais! Moi, mon père... ses histoires de Capitaine Bonhomme...
Après le décès de mon père, j’ai eu la tâche ingrate de tout récupérer et trier ses effets personnels. Son porte-monaie ne contenait pas un sou. Mais il contenait une page de journal usée, repliée quelques fois sur elle-même. C’était une découpure du Journal de Montréal. Le texte de son aventure était dans le journal avec son nom, la mention de son courage et de son exploit. Comme quoi, on reconnait souvent la vraie nature de quelqu’un qu’après sa mort.
Régler ses affaires avant de partir
L’autre phénomène qui me frappe, c’est le fait qu’une personne donne souvent l’impression de retarder sa mort jusqu’à ce qu’elle ait pu régler quelque chose, avec une ou plusieurs personnes. C’est d’ailleurs ce que m’avait dit une infirmière avant le décès de ma mère. C’est un fait assez bien connu et documenté, je crois.
J'avais observé le même phénomène à la mort de ma mère. Elle nommait deux personnes qu'elle voulait voir. Et c'est incroyable le nombre de jours qu'elle a pu tenir après qu'on ait accepté de la laisser aller. Comment elle a fait?
La dame qui prenait soin de mon père m’a dit qu’il avait perdu connaissance peu de temps après mon départ, à ma dernière visite. Il avait été transporté en ambulance et n’avait jamais repris connaissance.
Mon voisin de chambre à l’hôpital (suite et fin)
J’ai été amené à parler de la mort de mon père un peu en enchaînant les souvenirs à partir d’un fait divers. J’ai commencé le récit avec le billet « Détour à l’hôpital ». Vous vous souvenez du voisin de chambre? Ce voisin devait prendre une décision. Il ne savait trop quoi faire. Après avoir entendu le récit de la mort de mon père, sa décision était claire. En suivant la même voie, il savait qu’il lui restait au maximum 3 mois à vivre.
Mon voisin de chambre a quitté l’hôpital avant moi. Mais en me quittant il m’a dit qu’il était heureux de m’avoir rencontré au bon moment. Il a ajouté qu’il avait eu la chance de faire le plein de courage et qu’il se souviendrait jusqu’à la fin de nos échanges.
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J’étais bien heureux d’avoir été là au bon moment, pour lui. Mais Je n’avais été que le messager. Et je sais que je ne suis pas le seul. Je rends hommage aux milliers de personnes qui ont joué ce rôle, le jouent encore et le joueront demain.Ces personnes-là, elles ont besoins aussi d’être aidées, entourées. J'ai déjà eu la chance d'avoir un échange d'environ 5 minutes avec Cloé Ste-Marie. Elle a une présence et une simplicité touchantes. Gilles Carles était à ses côtés.
Dans le corridor du CHUS où ma mère est décédée, il y avait une affiche qui avait longtemps capté mon attention. Et cette affiche, elle correspondait à une réalité bien réelle dans cette institution. C’était écrit :
Quand mon voisin est parti, il avait environ 3 mois à vivre. J'y ai beaucoup pensé pendant ces 3 mois et plus encore.
RépondreSupprimerJe me demandais où il était, comment était sa santé, son moral. Autant de mystère qu'il a sûrement emporté avec lui dans sa tombe.
J'ai particulièrement été touchée lorsque tu as raconté avoir découvert cette page de journal dans ses affaires. Cet homme valeureux qu'était ton père était sans doute plus secret qu'il n'y paraissait. Dans ses histoires de Capitaine Bonhomme, il fallait entendre quelque chose d'autre qui parlait de lui... J'ai toujours dit que chez la plupart des gens, il faut écouter ce qu'ils ne disent pas, que ça parle beaucoup plus que tout ce qu'ils disent. Chaque fois que je dis ça, on me regarde comme si je venais d'une autre planète...
RépondreSupprimerTu as raison de conserver dans ton coeur des coïncidences et faits étranges qui se sont produits autour et à la suite de la mort de ton père. Je sais de quoi tu parles... mais on peut utiliser ça à bon escient à la place.
Peut-être que pour toi, ça t'a servi à te rapprocher de lui, même après sa mort, faire la paix avec tout ce qu'il était, c'était déjà bien amorcé avec cette rencontre intime avec lui, juste avant qu'il ne perde connaissance. Tu t'es réconcilié avec sa vie, tu l'as réconcilié avec sa mort. Tu l'as fait pour au moins un autre homme aussi. C'est pas rien, ça, Jacks.
Pour ma part, j'ai tellement aimé mon père, admiré, tant reçu de lui, tout au long de sa vie, de la mienne. J'ai pris soin de lui beaucoup pendant sa dernière année, l'accompagnant en radiothérapie à Gatineau, en chimiothérapie, chez nous, en dernier, je ne dormais plus, ne mangeais plus, je fonctionnais sur le pilote automatique, je carburais à l'amour, à la peine aussi, la mienne et celle de mes proches, mais surtout, je ne voulais pas me priver d'une petite minute de sa présence, de sa vie, j'ai vécu des choses... pas racontables non plus. Ça me sert encore maintenant à mettre un baume sur la blessure qu'a été sa maladie, sa mort, lui qui aimait tant la vie, c'est comme si notre dialogue, nos échanges se poursuivaient encore...
C'est précieux la couleur que tu sais toujours ajouter, Zoreilles
RépondreSupprimerUn blogue comme celui-ci nous permet plus ou moins consciemment des étapes de notre vie ou des parties de nous-mêmes déposées ici et là. On dirait que je n'étais pas encore près à les ranger de façon ordonnéé.
Je trouve que tu as l'art d'y jeter un peu de lumière, une teinte qui nous permet de reprendre le tout pour faire un pas de plus, avancer.
C'est beau et touchant ce que tu racontes de ton père, Zoreilles. Il devait t'aimer beaucoup, éprouver de la fierté bien légitime.