Tous les vices à la mode passent pour des vertus (Molière)On a beaucoup parlé de résistances au changement. Il y a eu son pendant: vouloir tout changer même ce qui allait très bien. Pensez au Bloc! Il y a des modes. Il y a même eu une mode contre la mode: des vêtements mal ajustés, des pantalons trop larges, des jeans vendus déchirés au genou ou à l'arrière, des chandails trop courts ne protégeants pas suffisamment le nombril, etc...
On peut s'en amuser un peu. Mais, quand on veut trop se mettre à la mode, se moderniser, le prix culturel et social peut être élevé. Dans les années 60, il y a eu le slogan politique accrocheur "Il faut que ça change!"
Pour une fois, les politiciens ont tenu parole, avec une équipe du tonnerre. Et il a grondé fort, le tonnerre. La révolution tranquille a créé un cadre très stimulant. Mais... on a jeté par dessus bord des pans de notre société que nous aurions dû protéger. Admettons toutefois que ça aurait pu être pire.
Imaginez, le maire de Montréal, Jean Drapeau, avait failli faire détruire tout le vieux Montréal pour y installer des bouches de métros. Il en voyait partout. Au delà de 150. Et tout autour, il imaginait d'immenses tours modernes au centre ville.
Ce projet obtient sans conteste «la palme de l'éradication de l'habitat populaire», affirme l'architecte André Lortie dans son livre Montréal voit grand. Le rêve est pourtant beau: en 1966, on dresse les plans d'une université ouvrière en plein centre-ville. Elle aurait compté 12 pavillons et des résidences d'étudiants sur un campus digne des grandes institutions anglo-saxonnes.
Petit détail: il fallait raser la quasi-totalité du Plateau-Mont-Royal. Carrément. Du parc La Fontaine au boulevard Saint-Laurent, de la rue Rachel à l'avenue des Pins, tout aurait été démoli, au nom de la «rénovation de l'est de Montréal». Le projet est «plus destructeur encore que l'éradication du Faubourg à m'lasse pour Radio-Canada», commente André Lortie.
Il ne verra heureusement pas le jour, remplacé par une version plus modeste animée par les mêmes nobles motifs: l'Université du Québec à Montréal.
Comment expliquer la facilité avec laquelle on envisageait à l'époque la destruction de quartiers entiers? Une idée l'emportait sur tout: le progrès. «À l'époque, tout était permis, on pensait que Montréal aurait 7 millions d'habitants, qu'il fallait détruire les quartiers anciens qui entouraient le quartier des affaires du centre-ville, rappelle Richard Bergeron. Il fallait se préparer à la construction de 150 tours. C'était ça, la vision de Drapeau.»
Les quartiers aujourd'hui branchés, comme le Plateau-Mont-Royal, étaient loin d'avoir autant la cote dans les années 60, rappelle Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal. «Dans beaucoup de quartiers, le tissu social était effectivement affaibli, des quartiers qui étaient devenus des maisons de chambres, presque des quartiers de transition. On était sans mémoire et sans merci, on avait peu de pitié pour ces quartiers.»
Et il y avait une «apathie» de la population, estime-t-il.
Voir Montréal l'a échappé belle!
En 1973, j'ai eu le plaisir de passer 6 mois en France dans le cadre de mon travail. J'avais un projet de recherches sur les ressemblances et les différences sur la façon d'initier les changements d'un côté comme de l'autre de l'Atlantique. Ma plus grande découverte, en France, fut le respect des édifices en place, leur envrionnement. Et c'était aussi vrai au plan de l'architecture que des institutions en général. À cette époque, la loi d'aide sociale venait d'être réécrite, au Québec, comme si aucune mesure sociale n'avait existé avant. On a tout bâti sur du neuf. En France, on voyait beaucoup de traces de règles mises en place par Napoléon.
Au niveau de l'architecture, leur mise en valeur, l'amour de communiquer les événements historiques s'y rattachant m'ont fortement impressionné. Il me venait vite à l'esprit que nous n'hésitions pas à soumettre des quartiers entiers aux pics des démolisseurs pour tout reprendre à neuf.
Ici, plusieurs édifices charmants d'une valeur inestimable ont été détruits au nom de la modernité.
Ce phénomène n'est pas unique. On a vu souvent un homme décider à lui seul, ou presque, du sort de notre patrimoine. Beaucoup de quartiers entiers de nos plus beaux villages ont complètement été rayés de la carte, à l'autel de la modernité. Ce fut le cas à Havre-Saint-Pierre. On me dit que les Iles-de-la-Madeleine ont connu un courant semblable.
On regardant des anciennes photos de Havre-Saint-Pierre, je me demandais ce qui avait bien pu se passer.
À droite:le couvent;
en allant vers la gauche: l'église et e presbytère.
Tous ces édifices ont disparu.
Y avait-il eu un incendie, une guerre ou même un tremblement de terre? Non. Il y avait eu un curé: le Père Simon Larouche. Il avait du pouvoir. Un curé moderne. Depuis des années les curés avaient ramassé de l'argent à la quête du dimanche, quête qu'ils appelaient la part de Dieu.
On voulait remmplacer l'église en bois, avoir une plus belle maison pour Dieu et avoir plus de places. Pourtant, cette église avait beaucoup de charmes. Elle était de plus le témoin vivant d'une bien belle époque où s'étaient succédées plusieurs génération. Certains habitants de Havre-Saint-Pierre avait le coeur brisé à l'idée de voir disparaître l'église de leurs ancêtres. Mais personne n'aurait osé contredire le curé.
Les premiers habitants de Havre-Saint-Pierre étaient de souche acadienne et venaient des Iles de la Madeleine. Un an et demi après la fondation de leur village, les chefs de familles, au nombre de 23 décidèrent de construire leur première chapelle. C'est impressionnant de voir comment les premiers habitants d'un territoire de Nouvelle France se retroussaient vite les manches pour se donner une chapelle, une église. En janvier 1859, malgré un hiver très froid, ils se mirent à la tâche, coupant le bois nécessaire. Elle fut terminée la même année.
Mais on n'allait pas s'arrêter là. À peine 5 ans plus tard, une souscription permit d'amasser les 3 000$ nécessaires à la construction d'une véritable église où la première grand-messe fut chantée le 5 juin 1867. Pourtant, ces gens là étaient pauvres. Ils avaient cependant du cran et de la débrouillardise.
De nos jours, on détruit des églises parce qu'on manque de fidèles. À cette époque, on en détruisait parce que les églises étaient trop petites.
Au mois de mai 1961, l'église des anciens fut démolie. Avec les années, la fabrique avait accumulée un fond de 125 000$ qui devait servir à la construction d'une nouvelle église. L'argent brûle toujours les doigts de celui qui en accumule, fut-il même un homme de Dieu.
Le 5 mai, le curé Larouche arriva sur le bateau de la compagnie Komo construction de Québec. Il n'y avait pas de route pour se rendre à Havre-Saint-Pierre avant 1974 et les rues ne portaient pas encore de nom. En 1953, il y avait aussi un aéroport situé sur l'emplacement actuel du Centre d'achat, à 10 minutes, à pied, de la mer.
Déjà à cette époque, il fallait se méfier de l'industrie de la construction. Ce n'est pas nouveau. Pour vous mettre dans l'ambiance, vous pouvez voir Véronique Cloutier se moquer de la corruption récente: Voir Bye Bye 2010
Le Père Simon Larouche avait l'argent et le contrat de construction. Mais la compagnie Komo Construction sortit un lapin de son sac: elle chargeait un montant additionnel de 12 000$ pour démolir l'église. Le curé demanda donc avec insistance à tous les paroissiens de participer à une grande corvée de démolition le 6 mai. Il était trop tard pour reculer. Le contrat était signé. Tout le monde devait être présents. Aussitôt la messe terminée on se mit à la tâche.
Voici le récit que l'on trouve dans le programme souvenir du 125 anniversaire de la paroisse à la page 61: Le premier qui arriva à la sacristie fut papa: monsieur Frédéric Jomphe. Je demande à papa de décrocher l'horloge et de l'apporter à la salle paroissiale. Puis arrivaient Paulo Landry, son frère Joseph et quelques autres avec des barres à clous, des haches, des marteaux. Après quelques réflexions, on décida de commencer par les confessionnaux en faisant attention aux vieux péchés qui pouvaient avoir été oubliés àa l'intérieur de ces murs.
Puis de là, les gens arrivaient par groupe avec leurs outils de démolition. Dans peu de temps, 75 étaient arrivés sur les lieux et se mirent en marche par le dehors et le dedans. Des soutanes, des crucifix, des cadres, des chandeliers, enfin tout le bagage d'une sacristie en service depuis près de 100 ans.
Vers 13h30, par groupes de 15 ou 20, il y avait environ 150 gars qui étaient arrivés. Le Père Le Gresley est venu pour sortir le St-Sacrement à travers les bancs cassés et les débris de bois déjà accumulés dans les allées avec un vacarme d'enfer. Il a fallu 11 minutes pour sortir les bancs attachés au plancher. Puis ce fut les fournaises, l'orgue, les cloches...
Vers 6h, l'église avait bien triste mine,il ne restait de sa carcasse que les pièces du carré, la couverture débardoisée et le clocher qui attendait. (...)
Le 15 avrill 1962, dimanche des rameaux, la nouvelle église est ouverte au public pour la semaine sainte. La nouvelle église de Havre-Saint-Pierre, photo 2010 Je suis souvent incomodé par les fils électriques que l'on dispose n'importe où dans le décor sans se soucier de l'esthétique. C'est ainsi devant l'église de Natashquan et beaucoup d'autres belles pièces historiques que l'on voudrait prendre en photo. Décidément Hydro-Québec n'engage pas de poête pour superviser ses travaux.
Et en 1968, ce fut le tour du presbytère de disparaître. Une autre très belle pièce de notre patrimoine. Et, environ 35 km au sud, sur l'Ile d'Anticosti, que dire du manoir Menier que les papetières ont brûlé parce que, semble-t-il, trop cher à entretenir et surveiller.
Comme si ce n'était pas assez, c'est toute l'Ile qu'on veut maintenant détruire. On tient les touristes à distance pour exploiter, dans le secret, le gaz de schiste sur un territoire 17 fois l'ile de Montréal.
Quand j'ai acquis ma première maison à Sherbrooke, je l'ai acheté de monsieur Émile Dubois, un sympathique vétéran de la dernière guerre mondiale, pilot d'avion bombardier. Après en avoir pris possession, je lui ai dit que j'étais follement amoureux de la belle petite table en acajou avec des pattes de lion qu'il avait laissé. Surpris, il m'a demandé:
- Vous aimez ça les vieux meubles comme ça?
- Oui, beaucoup!
- Dommage! J'ai un peu honte. J'ai brûlé beaucoup de meubles dans le poêle a bois au sous-sol. Je ne voulais pas vous encombrer avec mes vieilleries.