Il y a environ 4 ans, j'étais à organiser un événement important pour souligner le 25è anniversaire d'un organisme qui me tenait à coeur. J'avais réservé la magnifique salle de l'amphithéâtre.
C'était dans un lieu historique désigné Patrimoine du Canada: Le Théatre Granada de Sherbrooke, rue Wellington. Plusieurs artistes s'y sont produits dont Maurice Chevalier.
En pleine période d'organisation de l'événement, j'ai eu une migraine. Une vraie. Ma pression s'est emballée. Je ne parvenais plus à lire et ni écrire. J'ai dû être hospitalisé pour quelques jours. J'avais une assurance qui couvrait les chambres privées. Mais, sans trop réfléchir, j'ai plutôt choisi une chambre à deux. En entrant dans la chambre, j'ai remarqué que mon voisin de chambre dormait. Il était environ 22h. Les lumières étaient allumées.
Juste dans l'entrée de la porte, grande ouverte, deux employés en service s'arrêtent, placotent à très haute voie, rient, se font du charme. Mais le charme n'a pas eu de prise sur moi. Mon voisin que j'appellerai Monsieur K s'est réveillé. Je me suis levé, je me suis approché de son lit et lui ai demandé si le bruit lui causait des problèmes. Il m'a confirmé que oui. Il était souffrant. Donc, dormir était très précieux.
Je me suis présenté devant les employés et j'ai fait une petite crisette, blamant leur manque de respect pour mon voisin. J'ai parlé un peu avec lui. Il avait travaillé à l'Institut polytechnique où il y avait eu une fusillade en 1989. Le lien qui précède présente le reportage télé sur l'événement.
Il connaissait Marc Lépine, le meurtrier des 14 filles tombées sous les balles. Il lui a même parlé le matin du drame. Il était responsable du magasin et avait dû démissionner par la suite. Le choc psychologique avait été trop brutal. Maintenant, il était à l'hôpital depuis 3 semaines pour un cancer.
Le lendemain, je me suis absenté de la chambre. Lorsque je suis revenu, Monsieur K. était assis à côté de son lit. Il pleurait. Je lui ai demandé la raison de sa peine. Il venait de voir son médecin. Un verdict implacable était tombé: son cancer était incurable.
Il pouvait suivre des traitements de chimiothérapie qui pouvait le prolonger de quelques mois. Il ne savait pas trop quoi faire. Je me suis rendu au poste des infirmières pour qu'on s'occupe un peu de ce voisin désemparé au plus haut degré.
Par la suite, le monsieur a voulu que je prenne place sur la chaise à côté de son lit. Il se sentait complètement démoli, incapable de décider quoique ce soit. Il voulait savoir ce que j'en pensais.
Ce genre de situation m'intrigue. Je devais normalement être ailleurs, en train de travailler à l'oganisation d'un grand événement. Je me trouvais à l'hôpital comme pour accomplir quelque chose de capital dans la vie de quelqu'un que je ne connaissais pas. Je devais l'assister dans son choix de vivre ou mourir, l'aider à cheminer dans cette période traumatisante. Tout un programme! Je ne pouvais ignorer la confiance qu'il semblait me faire.
De la fenêtre de sa chambre, je voyais exactement le même décor que celui de la chambre d'hôpital où ma mère est décédée. C'était au même endroit, mais quelques étages plus haut. La photo suivante est celle de l'hôpital en question: le CHUS.
Monsieur K. insistait pour que je lui donne mon avis sur les traitements à suivre ou pas. Je lui ai dit que je comprenais très bien sa situation. J'ai ajouté: je ne peux vous dire quoi faire, mais je peux vous parler de ce que mon père a fait. Je lui ai expliqué dans les moindres détails la dernière journée passée avec mon père. Je lui ai parlé de son moral, sa lucidité, son désir de ne pas souffrir.
Après avoir entendu le récit de la mort de mon père, sa décision était claire. En suivant la même voie, il savait qu’il lui restait au maximum 3 mois à vivre. À partir de cet instant, Monsieur K était complètement transformé, me suivait partout, me posait des tas de questions existentielles, telles ma conception de la vie, la mort, la foi.
Monsieur a quitté l’hôpital avant moi. Mais en me quittant il m’a fait une accolade empreinte de sincérité. Il a dit qu’il était heureux de m’avoir rencontré au bon moment. Il a ajouté qu’il avait eu la chance de faire le plein de courage et qu’il se souviendrait jusqu’à la fin de nos échanges. Ses yeux étaient très expressifs, calmes et reconnaissants.
Ce qui m'avait rendu si proche de monsieur K, c'était une foule de coïncidences, je pourrais même dire une série d'épreuves personnelles. J'avais eu une terrible migraine inexplicable qui avait chamboulé un horaire serré. Il se trouvait au même hopital où ma mère était décédée moins de 2 ans auparavant. Sa maladie était la même qui avait terrassé mon père.
Monsieur K. était devenu en peu de temps très important pour moi. Il le sentait. La souffrance nous avait rapprochés et enrichis. Cette expérience m'a aussi démontré la force des ressources que nous avons en nous. Et souvent, nous avons besoin de quelqu'un pour les mettre en action.
Je suis ému
RépondreSupprimerMa mère est née le 4 décembre 1923. Difficile de ne pas y penser avec émotion.
Tu me sembles avoir eu plusieurs vie, ton passé a été très riche en évenement, des évenements marquant voir difficile a surmonter.
RépondreSupprimerPourtant tu es là, ici a parlé de ce qui fait ta vie, la notre aussi car on se retrouve toujours dans les écrits de l'autre.
Tu n'es pas devenu un homme triste et aigri par la vie, bien au contraire, tu sembles être chaleureux, humain, compatissant envers les autres, vraiment j'espère devenir comme toi, ne pas me laisser prendre par la méchanceté, ....
Tu es un grand homme Jacks,
Je t'embrasse très fort,
Sueanne
Oui, comme dit Courrier Noir, un grand homme, au vécu incroyable, si riche, que tu nous nourris l'esprit à chaque visite en ces lieux.
RépondreSupprimerMerci de ce partage,
-xxx-
Bonjour Sueanne,
RépondreSupprimerToi te laisser prendre par la méchanceté? D'après moi, tu aurais besoin d'un très gros effort pour y arriver. (Sourire)
Je te vois plutôt avec un coeur d'or. S'il t'arrive parfois d'avoir le goût de défouler, moi aussi. Il faut parfois laisser danser le couvercle de la marmite pour laisser s'échapper la vapeur.
C'est gentil ces bons mots à mon égards. Je reconnais que j'en ai vu de toutes les couleurs et beaucoup plus que tout ce que je pourrai exprimer ici.
C'est également vrai que je fais un bilan positif de ce que la vie m'a offert de mieux et de pire. Je suis chanceux d'avoir eu tant de belles occasions d'avancer, prendre de l'assurance, avoir des contacts chaleureux et riches.
Âme tourmentée,
RépondreSupprimerCe plus beau cadeau que le ciel m'a fait c'est de m'avoir permis de regarder l'avenir avec serenité.
Quand je me retourne pour jeter un coup d'oeil en arrière, pour regarder à travers quel chemin tortueux j'ai réussi à passer, je suis heureux.
J'ai l'impression que c'était comme un jeu à obstacles où rien n'était inutile. C'est comme si tout était là pour me donner des occasions de recevoir une carte à utiliser plus tard au bon moment.
Quand je lis ta poésie si belle et si pleine d'humanité, je me reconnais. Et j'ai le goût de partager mon vécu à mon tour, à ma façon, en prose.
Jacques, comme le hasard a fait que tu t'arrêtes sur mon blogue, il est tout naturel que je vienne m'arrêter sur le tien...
RépondreSupprimerLa vie nous apporte beaucoup d'épreuves (et j,en sais quelque chose!) mais je crois sincèrement que derrière chaque événement, il y a quelque chose à apprendre et à retirer... Chacune de nos expérience peux apporter du positif dans nos vies et dans celle des autres... Pour ça, il faut regarder le côté rose des choses, toujours.
« En rose c'est plus facile! »
Ah ça pourrait devenir mon sloggan ça ???
;-)
Bonjour Magenta,
RépondreSupprimerJe me suis arrêté sur ton blogue parce que je me sentais en terrain connu.
On dirait que l'un de nous deux a copié sur l'autre ;-)
Jacques,
RépondreSupprimerIl n’y a pas à redire, tu as eu une vie rudement bien remplie et cette expérience que tu nous relates sur l’accompagnement apporté à une personne en fin de vie, me touche profondément. Je trouve que la façon dont tu t’y es pris pour réconforter Monsieur K, était très bien inspirée, et je ne crois pas que j’aurais pu comme tu as si bien su y parvenir, en faire autant que toi.
Mais ton billet me touche d’autant plus, que tu viens, dans le premier des commentaires apportés ici, de même que dans le corps même du texte de ce billet, de mentionner le souvenir du décès de ta mère dans ce même hôpital. Cela m’a remémoré brusquement la manière dont ma mère est morte en 1987.
Pendant un souper familial que cette dernière avait organisé lors d’un dimanche d’automne de cette année là, elle s’est sentie soudainement prise d’un malaise au cours du repas. Ce que voyant, mon frère Yves et moi avions jugé préférable, étant donné les grands frissons qui l’avaient aussi prise, de l’accompagner jusqu’à sa chambre, pour l’aider à se mettre au lit sous de chaudes couvertures. Elle s’est laissée faire sans protester. Après quoi, nous sommes redescendus mon frère et moi, pour terminer le repas avec le reste de la famille. Mais quelle ne fut pas notre surprise, après le repas, de retrouver notre mère assise bien tranquillement dans le salon. Nous avons protesté, lui disant qu’elle n’était pas raisonnable. Elle nous a répondu qu’elle se sentait beaucoup mieux, qu’il ne s’était agit que d’un malaise passager. Et là, je suis passé complètement à côté de la barque, car elle ajouta: « Ça me fait tellement plaisir de vous voir tous, ainsi réuni ». Je n’ai rien relevé de particulier sur le moment.
Je n’ai vraiment compris l’implication de cette phrase, que quelques jours plus tard, lorsque j’ai reçu un coup de téléphone de mon plus jeune frère pour m’annoncer que maman avait été rentrée d’urgence à l’hôpital.
Nous savions tous qu’elle était une grande malade. Du plus loin que je me rappelle, elle faisait régulièrement des séjours dans des hôpitaux pour diverses raisons. Elle en ressortait toujours relativement bien portante. Mais cette fois, c’était très grave, son foie était dangereusement atteint et elle s’était refusée jusqu’au bout de nous révéler, qu’au cours de l’été, son médecin lui avait déclaré que son mal était désormais incurable et qu’elle n’en avait plus que pour quelques mois à vivre.
Je me rappelle très bien ce que fut la veille de sa mort, qui eut lieu le 31 octobre 2007. J’étais à mon travail à l’hôpital Royal Victoria quand j’ai reçu un appel d’une de mes sœurs, en toute fin d’après-midi, pour me dire que maman voulais tous nous voir le soir même à l’hôpital de Joliette. Je n’ai pas à vous dire que j’ai tout laissé en catastrophe pour sauter dans ma voiture afin de me rendre à son chevet avec tout le reste de la famille.
Quand elle nous eut vu tous réunis, elle ne réussi qu’à nous dire, qu’elle voulait qu’on lui donne la permission de mourir et elle s’est mise à pleurer.
C’est à ce moment qu’une infirmière est entré pour nous expliquer qu’il n’y avait plus rien à faire. Son foie ne fonctionnait plus et la septicémie n’était plus contrôlable, sauf par l’essai de perfusion de dose massive d’antibiotique qui n’aurait fait en bout de ligne, que de prolonger sa souffrance de quelques jours tout au plus. Alors, à tour de rôle, nous l’avons embrassé en lui disant que nous étions d’accord pour la laisser partir. L’exercice ne fut pas facile, mais nous savions tous qu’elle avait donné tout ce qu’elle pouvait. Elle ne voulait plus souffrir et nous le comprenions aussi.
Nous sommes tous sortis lorsqu'un prêtre est venu pour la confesser et lui donner l’extrême onction. Quand nous sommes retournés, l’infirmière lui a installé une perfusion pour lui injecter de la morphine pour calmer ses souffrances. Elle nous a souri avant de fermer les yeux. Elle est morte le lendemain matin.
Voila ce que j’avais envie de partager en ce soir du 4 décembre, qui est aussi le jour anniversaire de la naissance de ta mère.
Réjean,
RépondreSupprimerTe connaissant, je ne doute pas que tu aurais eu le bon réflexe avec le monsieur. L'intensité d'une telle situation nous fait donner le meilleur de nous-mêmes. C'est là tout le mystère.
L'expérience avec ta mère est également très révélatrice. J'ai souvent dit ou entendu d'une personne décédée: On aurait dit qu'elle sentait venir sa fin.
Il y a comme des signes avant courreurs dont on se rappelle après coup. On aimerait faire un rewind pour reprendre la scène.
Encore un billet touchant qui a su générer des commentaires qui le sont tout autant. Ce n'est pas un hasard, nous sommes ici chez Jacks...
RépondreSupprimerC'est un peu comme s'il existait ici un univers parallèle, authentique et chaud, où l'on peut se ressourcer, prendre le temps de comprendre les choses par le coeur. Jamais on ne discute de ces expériences-là dans nos vies personnelles, avec nos familles, nos amis, dans des émissions de télé, etc.
Et pourtant, la mort fait partie de la vie...
Accompagner un proche dans la maladie et la mort, je l'ai fait aussi à trois reprises, ce sont des expériences trop intimes pour être racontées, en fait, je dirais plutôt que ça exige une qualité d'écoute et du temps que peu de gens peuvent offrir.
J'ai apprivoisé la mort. Mais pas la maladie. Et ces moments exceptionnels m'ont donné à chaque fois le goût de mordre dans la vie, si précieuse.
J'ai apprivoisé la mort. Mais pas la maladie. Et ces moments exceptionnels m'ont donné à chaque fois le goût de mordre dans la vie, si précieuse.
RépondreSupprimerC'est une belle philosophie de la vie, Zoreilles. Quand on a accepté le pire, on mieux apprécier tous les instants présents.
Jackss,
RépondreSupprimer"vous" avez travaillé à l'organisation d'un grand événement" en posant votre main sur l'épaule de cet inconnu et en y donnant tout votre coeur. Je vous trouve immensément sensible et respectueux des autres, à l'écoute de ce qu'ils peuvent vivre, d'une grande empathie vous êtes Jackss...
Tendresses xxx