Heureux en plein malheur ou
malheureux en plein bonheur
Je vis présentement sur une terre explorée et habitée par un des plus grands explorateurs de la Nouvelle-France: Louis-Jolliet. Son histoire est parsemée de chances inouïes et de grands malheurs. Adulé par les plus grands de son époque dont Frontenac, Mgr Laval et Louis XIV, il a eu un parcours enviable parsemé de tragédies dont l'une des pires fut la perte de ses écrits disparues dans un incendie, sans parler de sa succession entourée de drames. C'est un grand symbole.
Mon intention était de reprendre l'histoire où je l'avais laissée en 1560. Mais, vous le savez, ma vie ne se passe pas ainsi. J.ai plein de détours improvisés commandés par le hasard. Conséquence: Louis Joliette devra attendre. Mais je ne perds pas le fil de mon propos. J'y reviendrai.
C'est un peu, je crois, le défi de tout une vie que d'être heureux contre vents et marées, comme ce fut le cas pour Louis Jolliet. Je crois utile de vous remettre à l'esprit un court extrait de mon dernier billet:
En 2010, je travaillais pour Statistique Canada à l'occasion du recensement. Tout près de l'endroit que vous voyez, je me suis présenté dans une très magnifique demeure, face à la mer. Et spontanément, j'ai dit au maître des lieux:
- Un vrai paradis ici. Comment peut-on faire pour ne pas être heureux?
- Un paradis? répondit-il en dissimulant mal un air qui en disait long. Si vous saviez mon cher monsieur! Il ne faut pas se fier aux apparences. Ma vie est un enfer!
Vous comprendrez le choc que j'ai eu. Je suis resté bouche bée. Je crois que le vrai bonheur, c'est avant tout une façon d'être qui se trouve en nous. Et je m'empresse d'ajouter: il n'y a pas de recette miracle. Il faut être attentif, saisir les occasions et surtout protéger et mettre en valeur les beautés qui nous entourent et l'histoire qui les rendent encore plus précieuses.
Non, il n'y a pas de recette miracle. Il y a des jours où nous sommes mis à rude épreuve. Il y a des jours où tout s'écroule. On a beau être fort, on est désemparé et même un peu découragé.
Ceci étant dit, permettez que je vous explique ce détour improvisé qui vient retarder un peu la suite de mon récit sur Louis Jolliet. Tout ça est dû à un hasard qui est venu frapper à ma porte en pleine nuit. J'ai fait un drôle de rêve. Bien des psychologues voudrait se donner le défi de l'analyser. Vous-mêmes peut-être seriez tentez de le faire. Mais, ça ne sera pas nécessaire. J'ai trouvé la clé pour le décoder. On a souvent la clé près de nous. Il s'agit de chercher et avoir un peu de chance. Les rêves sont d'ailleurs de bonnes occasions de mieux nous connaître et voir ce qui se cachent dans notre subconscient. Ils sont révélateurs et fort utiles. Depuis que je suis très jeune, je me souviens souvent de mes rêves.
J'ai rêvé ceci la nuit dernière:
On m'a appris que j'allais mourir à coup sûr sous peu. En soi, il n'y avait rien de drôle. Mais dans mon rêve, j'ai eu un fou rire dont je ne pouvais plus me débarrasser. Je riais, je riais. J'en avais les larmes aux yeux. Tout le monde autour de moi me regardait décontenancé. Une fois éveillé, je me demandais d'où pouvait bien venir ce rêve fou.
Non, je ne veux pas mourir. Il y a plus drôle que la mort. Ça, c'est sûr. Puis, tout à coup, l'origine du rêve m'est apparu très clair. Ça venait du bulletin de nouvelles de la veille. On parlait de ce monsieur venu d'un voyage en Afrique, au Libéria, chez qui on avait identifié un virus mortel contagieux: l'Ebola. On l'a mis en isolement. Jusque là, il n'y a encore rien de drôle.
Au moment où j'ai entendu cette nouvelle, je me suis rappelé tout à coup avoir fait un lien avec un fait vécu dont j'ai déjà parlé dans un de mes premiers billets.
Voilà textuellement ce que j'avais écrit le 6 septembre 2008
On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui ni dans n'importe quelle situation
Un jour, Daniel m'a appelé de sa chambre d'hôpital où il venait d'être admis d'urgence. Je me suis empressé de m'y rendre. On m'a expliqué qu'il était dans une section isolée et que je devais porter un masque pour aller le voir.Pour moi tout ce décor était surréaliste. J'ai entamé la conversation, comme on le fait toujours en demandant à Daniel: Comment ça va ? Et, selon ce que veut l'usage, il m'a répondu: Ça va bien. Et à le voir, rien ne laissait croire que ce n'était pas le cas.
Daniel m'a expliqué le contexte qui l'avait amené à l'urgence et son passage rapide en isolation. Il m'en parlait de façon tellement décontractée que je n'ai pu m'empêcher de rire en imaginant la peur qu'il avait dû ressentir. Nous avons ri de bon coeur, parlant de choses et d'autres. Et je suis reparti de bonne humeur en lui promettant de revenir.
Deux ou trois jours plus tard, j'apprenais son décès. Je prenais toute la mesure du fait que la vie ne tient qu'à un fil. J'étais bouleversé et me sentait incapable de me rendre le voir au Salon funéraire. Il venait de la Gaspésie. Je ne pouvais rien lui apporter en lui rendant visite au Salon funéraire.
Le lundi, en revenant au travail, on m'a appris que toute la fin de semaine, la copine de Daniel avait demandé, au Salon, si j'allais venir faire une visite. Depuis ce temps, je me fais toujours un devoir d'être présent lors d'événements tragiques. Je sais qu'une présence dans ces occasions n'a pas de prix.
Un autre événement m'a beaucoup bouleversé la semaine dernière. C'est au gala de Jutra où on remet les prix pour souligner les meilleures réalisations du cinéma québécois.
Antoine Bertrand |
Pourtant, pendant qu'il faisait son discours de remerciement, je voyais sa copine grimacer et ne pas pouvoir retenir ses larmes. Antoine Bertrand, lui-même a fini par faire de même en parlant de sa mère et en regardant au ciel.
Le lendemain, en consultant le journal j'ai compris pourquoi il était difficile de profiter de si beaux instants de bonheur:
«Louis Cyr tenait la force de sa mère, moi aussi», a-t-il dit, en larmes. Des paroles qui prennent tout leur sens quand on sait que quelques heures plus tôt, il venait d'enterrer sa propre mère, ce qu'il n'a pas précisé sur scène.
Le coanimateur de la soirée, Laurent Paquin, en est resté figé, incapable de lire son texte.
Louis Cyr, c'est le seul film que j'ai vu au cinéma cette année. Comme par hasard, c'est un des prochains personnages légendaires du Québec auquel je me promettait de réserver une place pour un prochain billet. Son histoire est inspirante. Et en plus, Louis Cyr a les mêmes racines que les gens d'ici. Il est d'origine acadienne.
PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE
La mémoire collective: «Louis Cyr n'a pas eu besoin d'un film pour être dans la mémoire collective. Il est encore présent, même cent ans après sa mort. On ne voulait pas lui nuire, on voulait faire un film à la grandeur de ce gars-là. Et finalement, je pense qu'avec le film qu'on vient de faire, on vient de lui donner une autre petite poussée pour encore cent ans», dit avec fierté et soulagement Antoine Bertrand, qui incarne Louis Cyr. Il est avec sa conjointe Catherine-Anne Toupin.
Source: La Presse:
Notre destin n'est pas différent du commun des mortels ni différent de celui d'une nation toute entière. Il est parsemé de grandes joies et de grandes peines, d'exploits grandioses, d'embuches et de petites misères. Personne n'y échappe. Mais je crois qu'il est bon d'avoir de belles sources d'inspirations et de courage. On en puise souvent dans notre entourage et nos proches ont besoin des nôtres. Mais je continue de croire qu'en bout de ligne tout se joue à l'intérieure de nous. On y trouve des forces insoupçonnées. J'ai pu le réaliser dans certains moments particulièrement éprouvant.
L'histoire de Louis Cyr nous enseigne que l'homme le plus fort du monde est aussi le plus faible en certaines circonstances. C'est peut-être notre plus grand défi que de découvrir les deux facettes qui nous habitent et de pouvoir composer avec elles.