samedi 25 juin 2011

C'était écrit

Je n'ai rien écrit. Je n'ai fait qu'inscrire.
Claude Léveillée
Fête nationale du Québec 2011 (Caricature: Le Devoir)


Aujourd'hui, le 24 juin, c'est la fête nationale des québécois. Il y a 35 ans, je crois qu'il n'est pas exagéré de dire que ce fut le plus beau party. Le spectacle, intitulé 1 fois 5 avait réuni les 5 plus grands monstres sacrés de l'époque: Vigneault, Ferland, Léveillée, Charlebois, Deschamps. Il ne manquait que Félix Leclerc.
Le spectacle 1 fois 5 demeure quelque chose d'unique: L'album 1 fois 5, paru en 1976, comprend des classiques de Robert Charlebois, Gilles Vigneault, Claude Léveillée, Yvon Deschamps et Jean-Pierre Ferland, interprétés sur le Mont-Royal à l'occasion de la Fête Nationale des Québécois. Jamais une telle frénésie patriotique et tant de talents n'ont été réunis sur une même scène.

Les artistes qui ont participé au spectacle en gardent d'ailleurs un souvenir très émouvant comme en témoigne le lien qui suit: 1 fois 5.

Il est assez émouvant d'entendre le témoignage de Claude Léveillée. Son décès le 9 juin 2011 m'a beaucoup attristé. C'était un idole de mon adolescence. Je me rappelle de cet ami, Jean-Claude Hamel, qui m'en avait parlé la première fois avec passion. Je n'ai pas revu cet ami depuis cette période. Mais je me souviens de ce qu'il m'avait dit de Léveillée.

Le hasard a voulu que je puisse suivre les reportages sur l'événement beaucoup plus que je n'aurais pu le faire normalement. Parti de Sherbrooke, à 8h30, le matin du décès, j'ai emprunté la route 138 pour n'arriver à destination qu'à minuit et demi. Cette route représente pour moi un symbole très fort. Sur une distance de 700 kilomètres, c'est la seule voie terrestre pour se rendre à mon domicile du Havre-Saint-Pierre. C'est un peu à l'image de ma vie. On pense parfois qu'on fait des choix, mais on est conditionné par une foule de petits détails comme si notre chemin avait été tracé d'avance. Avant même notre naissance, nous recevons déjà par hérédité tout un bagage qui va nous influencer, nous faire être et aller dans une direction.

C'est d'ailleurs ce que disait Claude Léveillée dans une entrevue que j'entendais à la radio en roulant sur la 138. Claude Léveillée, c'est tout un phénomène. Il n'a jamais appris à jouer du piano, écrire des notes sur une portée. Il improvisait sur son piano.
Édith Piaf, l'avait remarqué dans un cabaret de Montréal en 1959 et l'avait tout de suite invité à se joindre à elle.

Fascinée par les mélodies qu'il lui avait composées, elle l'avait présenté en grandes pompes aux journalistes français venues à sa rencontre après un spectacle. Il a composé, entre autre Pianos mécaniques et Frédéric, directement à son piano. Voir J'ai la mémoire qui chante.

Claude Léveillée avait dit: Je n'écris pas de chansons, je transcris. Il s'expliquait en ajoutant qu'il avait l'impresseion que tout était déjà dans sa tête, présents comme le résultat de ce qu'il avait vécu, entendu depuis sa naissance. Il avait l'impression d'avoir suivi une route déjà tracée.

Il disait aussi que c'étaient ses angoisses qui le poussaient à écrire. Il a même dit, lors de cette entrevue que nous écoutions ce jour-là: Ceux qui n'ont pas d'angoisses ne m'attirent pas et ce qu'ils ont à dire ne m'intéressent pas. On s'attache aux personnes fortes dont on sent la vulnérabilité. C'était le cas de René Lévesque. Stéphane Laporte, dans La Presse de samedi dernier disait que Claude Léveillée lui avait appris à être triste, mais pas une tristesse négative, une sorte de nostalgie, de bonheur triste que seuls les êtres sensibles peuvent exprimer. Voir Le vieux stéréo de Stéphane Laporte (La Presse)

J'ai été très impressionné par tout ce que j'ai entendu ces jours-là. J'ai été ému de réentendre les meilleures pièces du réportoire de Léveillée. Et le hasard m'a donné un coup de mains.

La route 138 était bloquée à deux endroits impossibles à contourner. Il y a d'abord eu un barrage routier par des autochtones qui protestaient contre le Plan Nord du gouvernement Charest qui vise à contourner des rivières, inonder des centaines de kilomètres pour ériger des barrages électriques. Il y a eu aussi un arrêt de 2 heures, suite à un accident mortel près de Sept-Iles. Encore là, aucun voie de contournement.


Mais il y avait Claude Léveillée et ce qu'on disait de lui pour nous tenir compagnie, Laure et moi.

J'ai aussi suivi, à la télé, les funérailles de Claude Léveillée à l'église Notre-Dame de Montréal. Encore là, j'ai eu des larmes. J'étais ému par les textes bibliques, les hommages. Ce n'est pas toujours qu'on voit partir un géant de cette taille, un artiste de la trempe des Vigneault, Leclerc, Ferland, Deschamps, Charlebois.


Le Journal Le Devoir produit un mot de l'abbé Gravel qui a accompagné Claude Léveillée dans les derniers mois de sa vie. On peut en prendre connaissance en cliquant sur On ne meurt pas, on s'absente.

Je me permets de regretter l'absence de notre premier ministre et son refus d'accorder des funérailles d'état à un citoyen de cette trempe. Une légende vivante. Tout le monde finit par mourir. Mais une légende devrait pouvoir survivre. Sinon, c'est comme un trou dans la 138.


Notre Premier Ministre était absent. Au fond, il y avait mieux. Nanou La Terre y était. Elle nous en glisse un mot dans son commentaire suite à ce billet. Je l'ai trouvé touchant et tellement plein d'humanité. Je vous invite à en prendre connaissance si vous ne l'avez pas déjà fait. C'est dans les grandes circonstances que l'on reconnait ses ami(e)s.